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savoir faisons : la divine Providence nous ayant fait échapper à la mort et aux embûches des méchans, nous avons… »

BORIS, lui arrachant le papier. — qu’est-ce que cet écrit abominable ? Donne.

BASILE. — Seigneur, un écrit non moins abominable, envoyé sans doute par quelque grand criminel, m’a été adressé, et j’étais accouru pour te le communiquer, afin que justice soit faite des coupables.

FEDOR. — J’en ai reçu un tout semblable… Le voici.

BORIS. — Semen ! Semen ! trahison de toutes parts ! Tu les croyais à Ouglitch, c’est à Moscou même que sont les traîtres… Est-ce ainsi que tu me sers ?…

SEMEN. — Seigneur ! j’atteste le ciel… Je découvrirai les coupables… (Il sort.)

BORIS. — Mon Dieu ! les traîtres ne se lasseront-ils jamais ? Faut-il donc toujours frapper ?… Contre moi ils veulent ressusciter les morts…

BASILE. — Une imposture si grossière…

BORIS. — Une perfidie si noire… Vous avez tous vu, boyards, quelle fut ma douleur quand le tsarévitch Dimitrii se donna la mort dans un accès d’épilepsie. Basile… le prince Chouiski vous a dit cent fois les circonstances de cette mort déplorable. Je vous avais chargé, prince Chouiski, de châtier les coupables, de ne pas laisser à Ouglitch un seul de ces factieux toujours acharnés à la perte de la Russie. Qu’avez-vous fait ? Vous avez frappé quelques serfs obscurs, transporté en Sibérie quelques centaines de malheureux imbéciles ; mais les traîtres, les véritables ennemis de mon trône et de notre sainte Russie, vous les avez laissé vivre. Ils relèvent audacieusement la tête ; ils ont suscité un fantôme ! Un imposteur s’est montré à Ouglitch, des misérables ont prétendu le reconnaître, et voilà que dans Moscou même on appelle mon peuple à la révolte !

BASILE. — Que mon maître permette à son esclave de se justifier ! grand Dieu ! qu’il te souvienne des châtimens terribles infligés à Ouglitch il y a quatorze ans. Deux cents têtes exposées sur la grande place, trois mille familles envoyées à Pelim t’ont prouvé mon zèle. J’ai détruit jusqu’aux souvenirs matériels de la rébellion. La cloche qui ameuta les factieux n’est-elle pas en Sibérie maintenant avec les insensés qui osèrent se lever contre tes officiers ? Il y a quatorze ans que je n’ai vu les murs d’Ouglitch. Si cette ville maudite a produit une nouvelle génération de rebelles, parle, et je suis prêt à en purger ton empire.

JOB. — Que s’est-il donc passé à Ouglitch ?

SEMEN, rentrant, à Boris. — Enfin Smirnoï Otrepief est arrivé ; il attend tes ordres.

BASILE.-— Qu’il entre. Eh bien ! Smirnoï, quelles nouvelles ?

SMIRNOÏ. — Seigneur, Ouglitch est tranquille. Une heure m’a suffi pour arrêter quelques insensés qui pouvaient séduire une populace crédule. Tout se réduit à des contes de vieilles qui te feront sourire. Un marchand a reçu dans sa maison un jeune Cosaque zaporogue dans lequel il s’est imaginé revoir les traits du feu tsarévitch Dmitri. Une vieille nourrice du prince, folle, à ce qu’il paraît, prétend l’avoir reconnu… Un jeune moine… a tenu des propos ridicules dans un cabaret…

BORIS. — Ridicules ?