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à Moscou, dis-lui qu’il se convertisse, car avant un an je tiendrai sa tête dans mon tablier Aussi vrai que je m’appelle Orina Jdanova, je la ferai rouler dans le ruisseau de la grand’rue... Il m’a promis de me la donner... — Mon cher nourrisson, je ne vous demande que la tête de ce maudit Tartare... Ah ! messieurs les Moscovites ! Tas de rebelles ! Juifs et païens ! Vous baisez la croix devant Boris, et vous prenez pour empereur un Tartare ! On vous remettra dans le droit chemin, Juifs ! Le temps approche ! Choubine, mon petit père, encore un verre d’eau-de-vie. (Elle boit.) A la santé de notre glorieux tsar Dimitrii Ivanovitch! (Elle s’enfuit.)

AKOULINA. — Toujours folle, pauvre femme!

CHOUBINE, bas à Grégoire. — Ce qui est certain, c’est qu’elle l’a reconnu tout de suite.

GREGOIRE. — Que diable va-t-il faire à Moscou?

CHOUBINE. — Surtout, garde-toi bien d’en souffler le mot!


III.

Le Kremlin. Une salle dans le palais de Boris.

Le prince FEDOR MSTISLAVSKI, le prince BASILE CHOUISKI, plusieurs BOYARDS, UNE DÉPUTATION DES COSAQUES DU DON.


FEDOR. — Le tsar reste bien long-temps dans son cabinet aujourd’hui.

BASILE. — Il est enfermé avec le noble Semen Godounof, et tu sais que Semen en a toujours long à dire.

FEDOR. — Toujours trop long pour les Russes.

BASILE. — Semen est un habile ministre, zélé pour le bien public... Il sait tout ce qui se passe dans ce vaste empire... Il est l’oreille de notre glorieux tsar.

FEDOR. — Plût au ciel que notre glorieux tsar eût une oreille moins avide à recueillir les dénonciations!

BASILE. — Semen est un noble seigneur... C’est plaisir de savoir en si bonnes mains la police de cet empire. Quel bonheur pour notre sainte Russie que tant de talens divers, et tous prodigieux, se trouvent réunis dans l’illustre famille des Godounof!

FEDOR. — Toujours louangeur, Basile Ivanovitch ! Que pensais-tu de Semen, il y a trois mois, lorsque tu quittais ton beau palais de Moscou pour la Sibérie? N’est-ce pas Semen Godounof qui a voulu te perdre?

BASILE. — Excès de zèle de sa part. Tout homme est sujet à l’erreur.

FEDOR. — Je te croyais plus de mémoire, Basile.

BASILE. — Moi? Personne n’en eut jamais moins !... A quoi d’ailleurs cela peut-il servir dans le temps où nous vivons?

FEDOR. — Je suis fâché que tu n’aies point de mémoire. J’aurais eu quelque chose à te demander, mais il s’agit du règne de Fëdor Ivanovitch, et sûrement tu l’as oublié.

BASILE. — Que voulais-tu me demander?

FEDOR.-— Lorsque tu as présidé l’enquête tenue à Ouglitch en 7099, tu as vu le corps du tsarévitch...