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jamais, et surtout qu’on s’en inquiète fort. En effet ; quel intérêt aurait-on à découvrir cette couronne, maintenant que l’idée symbolique qui s’y attachait semble s’être évanouie et que le récent voyage du jeune empereur François-Joseph à travers ces populations enthousiastes, moins conquises par ses armes que par sa gracieuse présence, a prouvé qu’on pouvait parfaitement être roi de Hongrie sans avoir mis sur sa tête le gothique diadème d’Arpad ?

À quelques jours de l’assaut victorieux donné à la capitale hongroise (5 juin), Kossuth revint en pompe triomphale dans sa bonne ville de Pesth. Son entrée fut d’un empereur. Dans une magnifique voiture attelée de quatre chevaux, Mme Kossuth à sa droite, escorté de la légion allemande, de la garde nationale à cheval et suivi d’un splendide état-major, Kossuth traversa solennellement les rues joyeuses de la ville, dont les saignantes cicatrices disparaissaient sous des tapis de fleurs. On imagine quel pitoyable effet cet appareil théâtral devait produire sur l’esprit de Goergei, de plus en plus en proie aux sombres pressentimens de l’avenir. À un dîner chez Kossuth, où de maladroits flatteurs s’amusaient à comparer le jeune capitaine aux grands hommes de l’ancienne Rome : « Moi, un républicain ! s’écria Goergei ; quelle plaisanterie ! moi, un vieux Romain ! quelle sottise ! Hélas ! pour être ce que vous dites là, il faut avoir au cœur plus d’héroïsme que je n’en ai. Et si j’étais par hasard ce grand homme que vous vous figurez, je n’en ferais ni une ni deux, et je me camperais une balle dans la cervelle, car, sachez-le bien, messieurs, la Hongrie est perdue ! »


III

On avait gaspillé beaucoup de temps, on allait en gaspiller encore davantage, et tandis que, du fond des provinces de son immense empire, la Russie évoquait des légions intactes, tandis que l’armée autrichienne pansait ses blessures, et, voyant de jour en jour grandir ses forces, prenait à Presbourg, sur les deux rives du Danube, une position de plus en plus vigoureuse et menaçante, l’Annibal hongrois consumait ses momens dans les vains travaux d’un siège intempestif. Quant à Kossuth, enivré de puissance et d’ovations, il s’abandonnait fastueusement aux délices de la Capoue nouvelle. La nature orientale du Madgyar, dédaignant les soucis du lendemain, jouissait de l’heure présente, et l’avenir sur lequel ses victoires d’hier projetaient un rayon décevant lui apparaissait riant et lumineux dans un horizon prismatique. Aux périls qui de tous côtés s’amoncelaient, à peine si quelques hommes prenaient garde, et les journaux ne parlaient de l’invasion russe qu’en accompagnant ce bruit de commentaires propres à les démentir. On a prétendu qu’il était faux que Goergei eût jamais désapprouvé