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du général en chef de l’armée autrichienne, quand on assiste à ce qui se passait un peu plus tard au camp hongrois ? A Tisza-Fured, en effet, se jouait un de ces drames soldatesques moitié tragiques, moitié bouffons, renouvelés de la guerre de trente ans. L’état-major tout entier, ayant à sa tête les généraux Goergei, Vetter et Klapka, rejetaient hautement sur Dembinski la responsabilité des désastres de Kapolna. On reprochait au général polonais d’avoir : 1° pendant la première journée, compromis gravement le salut des troupes en lançant la cavalerie à travers des terrains marécageux ; 2° d’avoir, en attribuant à un corps d’armée des divisions appartenant à un autre, mis les chefs respectifs de ces différens corps dans l’impossibilité d’utiliser les bataillons selon leur aptitude et leur plus ou moins d’expérience ; 3° d’avoir, à Poröslo, par des mesures prises en dépit des règles les plus élémentaires de la stratégie, exposé à des périls certains le corps d’armée du général Goergei, périls auxquels le jeune capitaine n’avait échappé qu’en contrevenant ouvertement aux ordres de son commandant supérieur. Les officiers accusaient en outre le général polonais d’avoir, durant un combat de trois jours, laissé les troupes sans subsistance. « Battre l’ennemi et bien manger, à la bonne heure ; être battu et bien manger, passe encore ; mais subir à la fois et la défaite avec toutes ses horreurs et la faim avec ses tortures, oh ! pour le coup, c’en était trop, et nous ne voulions pas en supporter davantage. »

L’armée émit donc un vote de non confiance, et là-dessus un personnage fut adressé au général pour savoir ce qu’il comptait faire. « Lors de ma retraite de Lithuanie, répliqua le général, quelques-uns de mes officiers vinrent me trouver, demandant où je prétendais les conduire : « Messieurs, leur répondis-je, vous voyez ce bonnet, n’est-ce pas ? Eh bien ! si je pouvais un seul instant me douter qu’il soupçonne ce que je pense, je m’empresserais de le jeter au feu, même au risque d’aller nu-tête. » Ce fut là toute la réponse que donna le général au mandataire de l’état-major. « Mais, objecte avec son persiflage ordinaire le mordant Goergei, il y avait cependant entre les officiers de Lithuanie et nous une différence notoire que Dembinski méconnaissait gravement, car ceux-là, plus curieux, voulaient savoir d’avance où il les conduisait, tandis que nous demandions, nous, tout simplement où il nous avait conduits. »

La situation était, on le voit, excessivement tendue. Dembinski en écrivit à Kossuth, lequel se mit en route sur-le-champ pour évoquer l’affaire devant un conseil de guerre. Malheureusement le dictateur arriva trop tard, et la première chose qu’il apprit en débarquant à Tisza-Fured, ce fut qu’une compagnie de grenadiers venait d’arrêter, au nom de l’armée, le lieutenant-général Dembinski, fâcheuse nouvelle dont il ne reconnut que trop la vérité en apercevant les deux gigantesques