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point sans défiance sur la fidélité du général Moga. Le peu d’énergie qu’on avait montrée devant l’invasion croate lors de l’affaire de Pacoszd, le désordre survenu tout à coup dans des troupes qui, jusqu’à la fin du combat, semblaient devoir rester victorieuses ; enfin les trois jours d’armistice accordés au ban et dont Jellachich avait profité pour opérer librement sa retraite, tout cela ne laissait pas d’inspirer aux membres du gouvernement les doutes les plus graves. Vainement les rapports du commissaire Ladislas Czanyi témoignaient en faveur de la loyauté du général. Le conseil de gouvernement avait fini par se persuader que Czanyi pouvait bien n’être, en somme, que la dupe des manœuvres de Moga et de son entourage, et, décidé à savoir la vérité, il résolut d’envoyer sur les lieux un homme clairvoyant et pratique, ayant ordre d’observer par lui-même les moindres mouvemens du général Moga. Arthur Goergei fut l’homme qu’on choisit pour cette mission. Il était alors colonel ; mais, en le congédiant, Kossuth lui remit le brevet de général, avec injonction de le garder en poche jusqu’au moment où, la prétendue trahison de Moga éclatant à ses yeux, il jugerait opportun de saisir le commandement à sa place. Arrivé à Parendorf, où Moga tenait son quartier-général, Goergei sut bientôt à quoi s’en tenir sur ces éternelles accusations de trahison dont les comités révolutionnaires se sont montrés toujours si prodigues envers leurs généraux, et qui devaient lui-même si cruellement l’atteindre plus tard ; mais, hélas ! tout en appréciant la fausseté de certains bruits, quel triste compte il se rendait de cet effectif militaire ! « Au quartier-général de Parendorf, vous n’entendiez parler que de la prochaine irruption de l’ennemi, et cependant les troupes étaient dans un état de dislocation tel qu’on aurait pu croire au règne de la paix universelle. Si vous demandiez aux différens chefs de l’état-major des renseignemens sur tel ou tel régiment, vous les embarrassiez beaucoup, car ils ne savaient au juste si ces régimens existaient encore, et, s’ils existaient, où il fallait s’adresser pour avoir de leurs nouvelles. D’autres, dont on vous avait raconté en détail la dislocation, apparaissaient tout à coup comme par miracle, et semblaient tomber de la lune. Somme toute, ce quartier-général de Parendorf me paraissait en proie au même esprit de vertige et d’erreur qui travaillait alors la diète et le comité de gouvernement. De trahison, il n’y en avait pas : la trahison implique une force de volonté, et, ce qui me frappait, c’était l’absence complète de toute combinaison, de tout calcul ; au-dessus de Parendorf comme au-dessus de Pesth flottaient les ombres de la nuit et les nuages de l’incertitude[1] ».

On devine si Goergei, esprit froid, méthodique, habitué à prendre les

  1. Mein Leben, t. Ier, p. 59.