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Ces lamentables querelles ne cessaient de se reproduire au camp hongrois. Il est vrai qu’on se demande, en lisant ces mémoires, si Goergei, par l’âpreté de son humeur, par le ton sarcastique de ses discours, ne provoquait pas lui-même bien souvent ces scènes de scandale. À la guerre, discuter les ordres de ses chefs, les ordres fussent-ils d’ailleurs condamnables, refuser hautement de s’y soumettre en déclarant devant tous qu’ils sont marqués au coin de l’inexpérience et de la sottise, passera toujours pour un acte d’insubordination criminelle. Comment Goergei, homme de la discipline et du devoir, ne manquait-il pas une occasion de rompre en visière avec cette obéissance passive qu’un officier subalterne doit à ses supérieurs ? Comment ces tristes débats auxquels nous venons d’assister se renouvellent-ils plus tard avec le général polonais Dembinski ? Je me l’explique par la nature même de cette guerre insurrectionnelle, par les conditions de cette armée où chacun, depuis le caporal jusqu’au colonel, comprenait un peu à sa manière ses attributions et ses droits. Ces airs d’indépendance altière que l’on serait tenté de reprocher au jeune lieutenant de Perczel, jamais Goergei, continuant à servir sous le drapeau de l’Autriche, n’eût songé seulement à les prendre. Autre chose en effet est d’être incorporé dans une armée régulière, régulièrement commandée, ou d’avoir affaire à ces bandes tumultueuses qu’un pays qui s’insurge fait sortir du sol pour sa défense. Ici le grade s’efface devant l’homme, et celui-là est le véritable chef qui se sent capable d’assumer sur sa tête la plus grande part de responsabilité. Le maréchal Bugeaud, en voulant un jour caractériser un de nos plus brillans officiers d’Afrique, disait de lui avec une justesse que les événemens n’ont pas démentie : « Un tel, détestable officier subalterne, excellent pour commander en chef. » Je ne crois pas qu’on puisse trouver une expression meilleure pour définir Goergei, mais j’insiste néanmoins sur ce point, que le général habile et résolu qui donna dans la suite aux armes hongroises leurs plus glorieuses journées avait en lui de quoi faire même un excellent officier en sous-ordre. S’il ne le fut pas, c’est que les circonstances, après tout, ne le permettaient guère.

Cependant cette chaude colère de Perczel contre Goergei eut son terme. Un succès obtenu sur les Croates à quelques jours de là, succès dont Goergei fut, à ce qu’on assure, le principal auteur, ne tarda pas à remettre en belle humeur l’atrabilaire colonel. Perczel ne songea plus à faire fusiller son lieutenant. Il conçut même à son endroit des sentimens tout magnanimes, et, pour effacer jusqu’au souvenir des discordes passées, lui envoya des armes en présent ; mais Georgei repoussa toute espèce de réconciliation avec un homme qu’il haïssait, et, joignant l’insulte au refus, fit distribuer à ses gens les cadeaux méprisés de Perczel.

À ce moment (octobre 1848), le comité de défense nationale n’était