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pouvait réveiller chez les peuples de l’Europe ces mouvemens insurrectionnels que les nobles vaincus de Varsovie avaient pour mission de promener par le monde. De l’idée purement madgyare, ils en eussent fait bon marché ; au demeurant, ils la trouvaient mesquine, et s’ils étaient entrés dans cette querelle particulière, c’était pour arriver à la question générale, qui les préoccupait bien autrement. De là, cette tendance à élargir le champ d’opérations, cet instinct dévorant qui les poussait à sortir des frontières que les paladins de la nationalité hongroise s’étaient promis de respecter. Goergei a démontré dans ses mémoires, par des argumens stratégiques, ce qu’avait d’impraticable ce plan si souvent caressé des généraux polonais, qui consistait à porter soudainement la guerre au cœur même de la monarchie autrichienne ; au plus fort de la lutte, il s’y était déjà opposé par le sentiment de la cause qu’il avait entrepris de défendre, nous dirions presque par chevalerie. Marcher directement sur Vienne, anéantir l’Autriche et provoquer ainsi une collision universelle, voilà ce que voulaient Bem et Dembinski, voilà ce que Goergei ne voulait pas. La légitimité de sa cause (nous constatons un fait sans discuter le point de vue) en eût souffert sensiblement ; d’ailleurs, jamais ni lui ni ses compagnons d’armes, ni ses vieux régimens, qui formaient en somme la meilleure partie du contingent hongrois, n’eussent consenti à donner la main à la révolution. On ne saurait trop le redire, entre la révolution européenne de 1848 et la guerre de l’indépendance madgyare, il n’y a pas l’ombre de communauté à établir. Si les deux mouvemens ont été mille fois improprement confondus, la faute en est au parti polonais, coupable d’avoir introduit l’élément révolutionnaire dans un démêlé de droit national. Pas plus avec les insurgés devienne qu’avec les démagogues de Berlin et les socialistes de Paris, le soulèvement de la Hongrie n’avait affaire. J’ajoute qu’il y avait au fond de cette insurrection madgyare un caractère de féodale aristocratie qui ne s’accommode pas le moins du monde avec les théories qui se prêchent d’habitude sur la montagne. Le prince Windisch-Graetz, alors qu’il faisait dire à Kossuth : « Je ne traite pas avec des rebelles. » entrait admirablement dans le sens de la chose. Rebelles, oui, mais non pas révolutionnaires. Si la révolution s’en mêla, ce fut après coup, et, comme on dit, pour pêcher en eau trouble : il y aura d’ailleurs toujours des hommes qui se tromperont de pays et dédales ; mais, je le répète, la rébellion hongroise, à la prendre dans son expression la plus simple à la fois et la plus élevée, ne saurait avoir rien de commun avec les mille et une tentatives anarchiques de 1848, et c’est ce sentiment de roideur barbare, cet individualisme national porté à l’excès qu’il s’agit de ne point perdre de vue, si l’on veut se rendre compte de certains événemens jusque-là inexpliqués, percer la nuit dont s’enveloppent certains actes de la politique madgyare