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particulièrement ne sait où aller après avoir voyagé à travers toutes les sphères de la fantaisie. M. J. Autran avait cependant trouvé une veine heureuse dans un livre récent, les Poèmes de la mer. Il avait trouvé ce qui est le plus rare peut-être maintenant dans la poésie, l’unité d’inspiration, une pensée principale à féconder et à développer. La mer et ses spectacles, la grandeur de ses horizons, la mélancolie de ses flots errans, les drames dont elle est le théâtre, et toutes les mystérieuses impressions qu’elle éveille, n’y a-t-il point là le plus magnifique élément d’un poème ? M. Autran a bien senti quelques-unes de ces grandeurs ; la difficulté est toujours dans l’exécution. En réalité, tout ne correspond pas, dans les Poèmes de la Mer, à l’idée de l’auteur. Il est évident que l’inspiration s’égare, se morcelle, se perd souvent dans les infiniment petits ; elle se relève dans des morceaux comme les Pêcheurs, Pater Oceanus. Un des fragmens les plus heureux, les plus marqués d’originalité, c’est le Voyage au Pôle arctique. Nous nous demandons seulement comment, dans un livre sur la mer, M. Autran peut donner place à bien des témoignages singuliers d’admiration qui n’ont d’autre excuse que de dater de l’an 1840.

Quand nous disons que le sentiment de la réalité est ce qui manque le plus dans la littérature moderne, où cela est-il plus apparent que dans la comédie - le Sage et le Fou - que représentait récemment le Théâtre-Français ? Ce qu’on peut dire de mieux, c’est que l’auteur n’a point tenu beaucoup sans doute à faire une comédie. S’il a voulu mettre une fois de plus la fantaisie au théâtre, il s’est laissé prendre dans bien des détails vulgaires ; s’il a eu l’intention sérieuse de tracer une action comique, on peut se demander où est cette action, où sont les mœurs, les caractères, les sentimens ? Le pire de tout serait que M. Méry ne se fût point douté qu’il faisait une œuvre qui ne relevait ni de la fantaisie ni de la réalité. M. Méry s’est mis tout simplement à marcher devant lui, mêlant des personnages comme il a pu, brodant des vers quelquefois ingénieux sur un sujet qui n’existe pas, faisant pétiller des mots et laissant dans l’esprit du spectateur tout juste l’impression d’un feu d’artifice de l’an passé. Tel est le Sage et le Fou, telle est la comédie appelée aujourd’hui à régénérer le Théâtre-Français ! Comme on voit, la littérature dramatique ne pèche pas par l’exubérance de l’inspiration, et ici encore, en présence de Corneille et de Molière, on peut se demander d’où viendra la vie, d’où viendra l’impulsion qui rendra à la scène son éclat et sa puissance.

Ce n’est point que nous méconnaissions les efforts du gouvernement pour protéger les intérêts littéraires ; il les protège de la seule manière qui puisse être bien efficace, à part cette influence générale qu’exerce toujours un gouvernement sur les esprits. Il les défend au dehors surtout en ce moment, en sauvegardant le principe de la propriété littéraire, en faisant de la garantie de cette propriété la condition sine qua non d’un nouveau traité avec la Belgique. Et ici qu’on nous permette de laisser à cette affaire son caractère élevé. Ce n’est point, autant qu’on peut le penser et le dire, une question simplement matérielle ; il y a un principe moral à faire prévaloir. Ce principe, c’est celui de la propriété intellectuelle. À travers les différences des législations, il y a aujourd’hui un ensemble de notions générales, communes à tous les pays. Or la première de ces notions, à coup sûr, c’est celle de la propriété. Il