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qui s’inaugure. Voici quelque vingt années que tout le monde en France parle un peu de la réforme de l’enseignement ; nous osons dire que jamais cette réforme ne se montra mieux dans sa gravité qu’au moment où elle se réalise, et cela n’a rien qui puisse surprendre, puisqu’après tout c’est de notre vie morale et intellectuelle qu’il s’agit, et qu’il est toujours plus facile de sentir son mal que de connaître le remède à y apporter.

Il n’est point douteux, en effet, que toutes ces questions d’éducation publique, sous une apparence souvent technique, touchent à la racine même des problèmes contemporains. Ce sont les questions les plus élevées et les plus pratiques, les plus décisives en même temps, parce que notre avenir est le prix de leur solution. Mais à quoi bon, dira-t-on, chercher dans cette transformation morale le mystère d’un lent et laborieux avenir ? Ne voyons-nous pas fourmiller autour de nous des solutions bien autrement promptes et rares, des conceptions bien autrement puissantes, des horoscopes socialistes, des prophéties magnétiques et des recettes merveilleuses pour créer une France nouvelle aux moindres frais possibles, moyennant un impôt sur les chiens et des marques de fabrique ? Que dire aussi de cet esprit éminent et grave qui s’amuse à lire l’avenir dans un mirage du passé, et qui semble rentrer dans son optimisme quand il a déduit toutes les bonnes raisons qu’aurait le lord-protecteur de rendre la couronne à Charles Stuart ? Soit, ceci est une solution du genre historique, qui n’en guérira pas moins tous nos maux. Charles Stuart est prêt sans doute, et le lord-protecteur le sera infailliblement, ou tout au moins restera-t-il lord-protecteur, ne fût-ce que pour conquérir son titre de grand homme ; sans cela, la solution ne laisserait point de déranger l’ordonnance historique, et nous en serions encore une fois pour nos illusions rétrospectives.

En fait d’horoscopes et de paradoxes, les meilleurs sont les plus originaux et les plus excentriques. M. Proudhon, on le sait, ne manque point de ces mérites dans ses bons momens. Il en donne un nouveau témoignage dans son livre de la Révolution sociale démontrée par le coup d’état du 2 décembre. Le livre de M. Proudhon a eu du malheur ; il a failli s’arrêter en route. Il est résulté de ces difficultés une lettre adressée au président de la république, et cette lettre n’est pas le chapitre le moins curieux des confessions révolutionnaires de l’auteur ; elle n’a pas moins de prix que le livre lui-même ; elle l’illustre et le commente. Le 2 décembre parait donc avoir un moment troublé quelque peu les combinaisons philosophiques et politiques de M. Proudhon ; mais on n’est point un logicien de cette force pour se laisser surprendre à ce point. Il a fallu simplement à M. Proudhon le temps de découvrir que le 2 décembre était un nouveau triomphe de la révolution sociale, un nouvel acheminement vers l’anarchie. Une fois en possession de cette vérité foudroyante, le goguenard dialecticien n’a plus eu qu’un scrupule : c’est qu’il créait une légitimité et une popularité nouvelles au prince Louis-Napoléon en le représentant comme le mandataire de la révolution. Pour la légitimité, il n’est point impossible que M. le président de la république ne s’en tienne au vote du 20 décembre ; quant à la popularité du chef actuel de l’état, il se peut bien, en vérité, que M. Proudhon la serve puissamment, mais à coup sûr autrement qu’il ne pense. Quoi qu’il en soit, nous sommes de l’avis de l’auteur de la Révolution sociale, lorsqu’il dit que l’autorisation accordée à son livre est un acte de haute