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dans le tronc du chêne comme dans un étau. Son corps plié en deux exprime à la fois la souffrance et l’énergie. Il peut sembler singulier, au premier aspect, que Milon ne réussisse pas à briser le piège où il s’est pris : quelques instans de réflexion suffisent pour dissiper l’étonnement. Il ne faut pas oublier, en effet, que le chêne, bien que frappé de la foudre, est encore vivant, et le bras de l’athlète écarterait plus facilement deux blocs de rocher que les deux moitiés d’un arbre dont la sève n’est pas encore desséchée. Ainsi je ne crois pas que l’auteur ait méconnu aucune des conditions du sujet. Il a très bien rendu ce qu’il voulait rendre ; il a très clairement exprimé la pensée qu’il avait conçue. Sans doute il est permis de discuter la forme qu’il a donnée à son lion ; sans doute on y chercherait vainement l’imitation, je ne dis pas littérale, mais fidèle, de la nature. Toutefois le mouvement est si vrai, il y a tant de souplesse dans le corps, tant de joie dans les yeux, tant de rage dans les grilles et les dents, que le spectateur oublie volontiers tout ce qu’il y a de pure fantaisie dans l’exécution de ce morceau. On trouverait sans peine un artiste secondaire capable de copier un lion de l’Atlas ; mais cette reproduction littérale de la nature nous laisserait froids et indifférens, tandis que le lion de Puget, malgré l’inexactitude des détails, nous frappe d’épouvante. Nous frissonnons en voyant l’athlète se débattre vainement sous la morsure de son adversaire. Jamais la transcription du modèle, si habile, si patiente qu’elle soit, n’obtiendra un tel triomphe. Regardez les chasses de Rubens, regardez ses tigres, ses panthères : il est facile de signaler dans ces admirables compositions plus d’un morceau dont le type ne se trouve pas dans la réalité ; et pourtant il serait puéril de les compter, car, malgré ces défauts, les chasses de Rubens sont encore assez belles pour désespérer tous ceux qui voudront tenter la même voie.

Si le lion de Puget n’est pas d’une exactitude littérale, son Milon est d’une vérité si éclatante que nos yeux ne se lassent pas de l’admirer. Ceux qui reprochent à la tête de manquer de noblesse ne méritent pas qu’on leur réponde, car ils prouvent très clairement qu’ils ignorent la nature du modèle, et prennent un athlète pour un héros. Terrasser un bœuf et le porter sur ses épaules n’est pas une action qui développe l’intelligence et ennoblisse le regard. La tête de Milon est ce qu’elle doit être, et Puget, en élevant le front, en creusant les tempes, eût agi follement. Les membres sont traités avec une fidélité qui réunit les suffrages de tous les juges éclairés : il y a dans la manière dont les muscles sont indiqués, dans leurs contractions et leurs attaches, une précision et une vigueur qui placent l’auteur parmi les maîtres de son art. Quant au torse, je ne crains pas de le proposer comme sujet d’étude à ceux mêmes qui ont vécu pendant plusieurs années