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Ces exceptions mêmes dont nous parlons s’expliquent par les mœurs créoles plutôt encore que par des préoccupations d’humanité. Les habitans des colonies espagnoles, ceux des villes un peu importantes, telles que la Havane, aiment le faste et la représentation; ils se plaisent à étaler aux yeux et de pompeux équipages et de brillantes toilettes; ils s’entourent d’un nombreux domestique, ils jouent souvent et très gros jeu; tout cela, on le conçoit facilement, entraîne de grands besoins d’argent. La vie molle des climats chauds en outre porte à la satiété, à l’indolence, et conséquemment au caprice. Il n’est donc pas étonnant qu’on trouve chez le même individu des dispositions qui modifient radicalement sa manière d’agir à l’égard de ses serviteurs, surtout lorsque ses serviteurs sont sa propriété aussi bien que son cheval ou son chien. Il met entre les nègres de sa domesticité et ceux de son habitation la même différence que celle qui existe entre son cheval de promenade et le cheval de labour, entre le mignon king Charles et le rude chien de son ranchero. Comme il réside peu sur ses terres, il en abandonne l’administration à ses intendans qui, à leur tour, se reposent sur leurs inférieurs des soins du détail. De là la différence radicale entre les esclaves ou animaux de luxe et ceux qui sont de pure utilité. Pour les uns, les brillans harnais, la nourriture délicate, l’indulgence souvent excessive; pour les autres, le labeur écrasant sous le soleil des tropiques et les mauvais traitemens, s’ils se permettent le moindre murmure. Aux uns on demande les jouissances du luxe et de la vanité, aux autres l’argent qui doit y pourvoir.

Si nous passons de Cuba aux pays à esclaves des États-Unis, nous serons frappés d’un contraste qui n’est pas à l’honneur, il faut bien le dire, des propriétaires espagnols. Les noirs mieux traités produisent davantage, et les chances de mortalité sont moins nombreuses. Avant toutefois d’arriver à la situation de l’esclavage dans les états du sud de l’Union, il faut dire un mot du recrutement des noirs, tel qu’il se pratique à Cuba : c’est encore là un des côtés répréhensibles du système espagnol.

Dans les colonies hispano-américaines, le seul moyen de pourvoir à l’insuffisance des bras est, on le comprend sans peine, de recourir à la traite. Le gouvernement espagnol, qui a adhéré aux conventions proposées par l’Angleterre pour la suppression du commerce des esclaves à la côte d’Afrique, exécute sa promesse, en ce sens qu’il ne tolère pas que ses sujets s’y livrent sous aucun prétexte, et que les autorités sévissent contre les traitans lorsque ceux-ci se laissent prendre; mais, si les croisières anglaises et françaises de la côte d’Afrique ne peuvent pas arriver, malgré leur vigilance, à détruire la traite, faut-il s’étonner que la surveillance du gouvernement espagnol soit parfois en défaut? Son premier intérêt, après tout, est la prospérité de Cuba