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d’Achim d’Arnim, il reproduirait sans éclat leurs procédés poétiques, et finirait comme eux par devenir étranger à son siècle. M. de Redwitz n’appartient pas à cette école ; le danger de son talent, s’il ne veille pas sur lui-même, est de se laisser séduire au somnambulisme des rêveurs, comme le pêcheur de Goethe aux caresses meurtrières de l’ondine.

Quelle sera la durée de ce travail des âmes révélé par le succès de M. de Redwitz ? Quel sera le sort de la poésie catholique en Allemagne ? Questions sérieuses, et qui touchent aux plus précieux intérêts de la pensée. Les chaleureuses sympathies excitées par le jeune écrivain semblent indiquer une transformation dont on peut attendre le développement avec confiance. Cette transformation n’est pas seulement une promesse ; elle est accomplie déjà sur les points essentiels, et elle poursuivra sa marche. L’athéisme n’a été qu’une fièvre dans ce noble pays ; un air plus pur, en calmant le délire du malade, a mis en fuite les visions grimaçantes. Les partisans de la jeune école hégélienne si nombreux encore il y a quelques années, les disciples de M. Feuerbach, les amis de M. Stimer, ne seront plus désormais, espérons-le, que des anomalies bizarres, comme chaque époque et chaque littérature en présentent. L’opinion a secoué le joug. Quant à la poésie catholique, si elle veut être digne de son titre, il faut qu’elle s’élève et se fortifie, il faut qu’elle soit grande et sévère autant que bienfaisante et douce. La profondeur lui est nécessaire en tout pays, mais particulièrement en Allemagne. La fatigue produite par les excès de la raison infatuée ne durera pas toujours ; l’école que nous venons de juger se retrouvera alors en face d’un peuple accoutumé aux plus hautes spéculations de la pensée. Au milieu du développement hardi de la science humaine, l’art catholique doit faire en sorte de ne pas abaisser sa mission. Le sentiment seul ne saurait lui suffire ; ce ne serait pas trop de l’imagination la plus puissante mise au service de la réflexion la plus mâle, ce ne serait pas trop de la grande voix de Dante et de Bossuet. Ces âmes sublimes sont rares, et les littératures qui n’ont pas de tels soutiens ne sont pas pour cela condamnées à périr ; que les artistes du moins aient constamment les yeux attachés sur ces incomparables modèles ! À ces conditions-là seulement, la poésie catholique dont l’Allemagne a salué le réveil et qu’elle croit déjà posséder sera assez forte pour réaliser sa tâche. Quel que soit cependant le résultat de ces efforts, quelle que soit l’issue de ce mouvement dirigé aujourd’hui avec plus d’ardeur que de puissance par la génération qui se lève, M. Oscar de Redwitz n’en occupera pas moins une place dans l’histoire littéraire de son pays ; il a obtenu, en effet, un privilège rare, un privilège envié de tout écrivain : il a eu son heure, et il a exprimé mélodieusement une des phases de la conscience publique.


SAINT-RENE TAILLANDIER.