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il se rappelle la mission qu’il s’est donnée, et se hâte de se corriger lui-même. Un autre épisode plein de grâce est celui qui nous montre la charité d’Amaranthe ; il y a dans le hameau voisin, une pauvre veuve et un orphelin que la misère aurait mis au tombeau, si la jeune fille ne les avait adoptés. Walther est témoin du bien qu’elle fait avec tant de simplicité et de charme, et son amour s’en accroît encore. Singulier mélange de rigidité et d’abandon ! Malgré la sévérité du fiancé de Ghismonda, plus d’une fois la main de Walther presse la main d’Amaranthe, plus d’une fois la tête de la jeune fille se penche sur la poitrine de son hôte, plus d’un baiser silencieusement échangé semble la promesse d’un éternel amour. Amaranthe a bientôt appris cependant quel est le but du voyage de Walther ; sa piété lui est un refuge, et, cachant sa blessure au fond de son cœur, elle demande à la prière la résignation dont elle a besoin.

Walther est arrivé en Italie. Le château du comte, père de Ghismonda, s’élève au flanc des collines dorées qui dominent le lac de Côme. Ce ne sont que fanfares et parfums dans ces splendides demeures. Ghismonda est la reine des fêtes. Belle, fière, entourée d’hommages, dans les chasses au fond des forêts ou dans les promenades sur le lac, elle enivre tous les regards. Et Walther, cette félicité que tant de brillans seigneurs lui envient trouble son cœur et ses sens ; il est sous le charme de l’altière beauté, et cependant ni l’ardeur du soleil italien, ni les séductions de cette molle nature, ni l’amour passionné de Ghismonda ne peuvent effacer de son souvenir l’image bien différente qui s’y est gravée. Walther est triste ; il fait d’inutiles efforts pour aimer chrétiennement la femme qui va porter son nom ; il lui semble que Ghismonda lui ouvre un monde nouveau, un monde funeste et condamné qui effraie son ame pieuse, et sa pensée retourne sans cesse vers celle qu’il a laissée si humblement cachée dans un vallon de la Forêt-Noire.

Plus Walther est soucieux, plus la brillante comtesse redouble de séductions auprès de son fiancé. — Parle, que veux-tu ? que te manque-t-il ? — Et bientôt l’explication a lieu. L’auteur a placé ici un étrange dialogue où éclate plus que partout ailleurs ce qu’il y a d’inspirations fausses et contraintes sous la légère trame de sa poésie. Ghismonda devient tout à coup le symbole du panthéisme, de l’athéisme, de toutes les doctrines grossières qui ont affligé l’Allemagne en ces derniers temps et que le jeune écrivain veut flétrir. Elle proclame son système avec une assurance doctorale ; elle parle de l’unique substance qui anime tout, elle parle du moi qui se crée lui-même, elle emprunte à Spinoza, à Goethe, à Fichte, des paroles qu’elle comprend tant bien que mal, et qu’elle entremêle de formules hégéliennes. N’oubliez pas que nous sommes au bord du lac de Côme et dans le siècle de saint