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de toute la quantité dont augmentera celle de l’or. Les paiemens quotidiens y gagneront en facilité comme en sécurité : l’argent fera l’appoint de l’or, comme l’or fait l’appoint des billets de banque. C’est là ce qui se passe en Angleterre, où l’argent circule en si faibles quantités, que la monnaie de Londres, qui a frappé en 1850 pour 1,492,000 livres sterling en pièces d’or, n’a livré que pour 130,000 livres sterling (3,260,000 francs) de pièces d’argent. La même année, 86 millions en pièces d’argent sortaient de la monnaie française.

Il ne faut pas oublier que les peuples qui n’appartiennent pas à la civilisation chrétienne réclament aussi leur part dans la distribution des métaux précieux. Les Chinois importaient déjà des dollars du Pérou et du Mexique en échange de leurs soieries ; ils attiraient à eux par le commerce ou par le travail l’or produit dans les îles de la Sonde. Ce peuple industrieux envoie aussi son contingent de trafiquans et de mineurs sur les placers de la Californie et de l’Australie. Une partie de l’or californien a déjà pris la route de la Chine ; mais l’Australie semble mieux placée pour approvisionner de métaux précieux les régions orientales ainsi que les contrées méridionales de l’Asie. L’or australien sera placé là à fonds perdus, car, si les métaux précieux que l’on jette dans la circulation en Europe surnagent en quelque sorte et se retrouvent en partie du moins au bout d’un certain temps, ceux que l’on envoie en Chine, dans l’Inde ou en Afrique n’en reviennent jamais : ce n’est pas à la circulation qu’on les livre, c’est à la consommation.

Rien ne semble plus propre à rassurer les esprits qui s’alarmeraient de l’abondance de l’or que l’étendue presque sans limites du marché. Quel peuple civilisé ou non civilisé, agricole ou industriel, n’entre pas aujourd’hui dans le mouvement du commerce ? Qu’est-ce que les millions que l’on peut retirer des flancs de la Cordillère auprès de ceux que représentent les capitaux créés sur le globe par le travail ? Il faudrait plus d’un quart de siècle d’une production comme celle que donnent les lavages réunis de l’Altaï, de la Californie et de la Nouvelle-Galles du Sud, pour accumuler une somme d’or égale au revenu annuel de la seule Angleterre. Cette récolte inattendue de métaux précieux vient s’ajouter à un fonds commun qui est non plus la pauvreté, mais la richesse ; elle ne saurait produire une impression profonde ni durable sur la masse incalculable de valeurs qui existe dans le monde.

Après tout, l’Europe elle-même ne conserve pas l’or et l’argent comme des reliques. Les monnaies s’usent par le frottement, au point qu’il faut procéder de temps en temps à des refontes, et que la perte qui en résulte est mise à la charge de la société. L’usage de la vaisselle d’or et d’argent, l’orfèvrerie et la bijouterie, s’étendent aussi