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se contentera de l’amuser et de l’instruire ; il lui donnera des goûts et des idées. On peut trouver encore en Angleterre des traces intellectuelles de son passage.

En toutes choses, il fut ce qu’on peut appeler un amateur. Nous ne l’avons vu s’intéresser à la politique qu’à la suite de son père. La fidélité à ce grand souvenir ou à quelques amitiés le maintint quelque temps et l’anima seul dans la carrière ; mais, moqueur et délicat, attaché à ses aises, à ses manies, il ne pouvait respirer à pleine poitrine dans cette atmosphère orageuse. Témoin du combat, il jugeait les coups et n’aurait su ni les porter ni les parer. Dans le monde même, il eut des penchans, non des passions ; il ne rechercha aucun plaisir avec excès. Il aima les arts, les livres, les bâtimens, les jardins ; il s’y connaissait, mais en rien il n’était artiste et se montrait plus critique que créateur. Il toucha à l’érudition, mais il ne s’y plongea pas, et, quoiqu’il essayât d’y porter l’exactitude et la précision, il n’y prétendait ni à l’étendue ni à la profondeur, se piquant toujours de paresse et d’ignorance. Enfin la littérature même l’a plus diverti qu’occupé, sa poésie ne s’élève pas au-dessus des vers de société, et ses ouvrages d’imagination, pour n’être pas sans mérite, ne sont rien de plus que de brillans passe-temps. Une certaine solidité manque à tout ce qu’il compose ; il ne saurait communiquer à ses œuvres faciles ce que donne seule la force de la méditation ou celle de l’émotion ; il ne faut les considérer que comme d’heureuses tentatives qui ont excité à mieux faire. On ne saurait, au reste, priser moins haut le métier d’auteur ; il semble tout à la fois craindre la responsabilité, fuir le pédantisme, dédaigner l’inutilité pratique de l’écrivain de profession. La peur de la critique est, avec un fonds d’aristocratique vanité, pour beaucoup dans ce travers, celui de tous ses travers qui a le mieux mérité le reproche d’affectation adressé par M. Macaulay à son esprit, à son caractère, à sa vie. On ne fait rien tout-à-fait bien, si l’on ne s’y met tout entier. Ne nous étonnons donc pas si Walpole, distingué en tant de choses, n’est comme auteur supérieur en aucune. Ses œuvres sont remarquables presque toujours, jamais excellentes, ou plutôt il n’a dû exceller que dans un genre, celui où il est permis de toucher à tout et interdit de rien approfondir, où la variété des tons doit s’unir à la diversité des sujets, où l’on peut être superficiel à propos et décider avec de l’esprit ce qui veut de l’étude et de l’expérience, où rien n’est défendu, excepté de s’appesantir et de s’étendre, où tout est permis, même le parfait, même le sublime, pourvu qu’on ne les ait pas cherchés et qu’on les rencontre en passant. On devine que je veux parler du genre épistolaire ; mais n’anticipons pas : que nous resterait-il à dire pour un second article ?


CHARLES DE REMUSAT.