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et la solidarité des peuples en matière de crédit rendaient de plus en plus difficile une altération purement locale dans la puissance de la monnaie. Lorsque les métaux précieux surabondent dans une contrée, elle en a bientôt écoulé le trop plein sur les pays limitrophes. Qu’une disette soudaine ou toute autre cause en ait fait sortir les espèces, et la prime qu’y obtiendront les métaux précieux ne tardera pas à les ramener. Les frais de transport et la prime d’assurance de l’or limitent le taux du change, et ces frais se simplifient chaque jour davantage, grâce aux chemins de fer ainsi qu’à la navigation à la vapeur.

Avant les progrès merveilleux qui se sont accomplis dans le domaine de l’industrie depuis le commencement du XIXe siècle, on a pu remarquer, à diverses époques, des changemens très sensibles dans la production relative des métaux précieux, qui n’entraînaient pas une altération correspondante dans le rapport de l’or à l’argent. À la fin du XVe siècle, il est vrai, l’Amérique ne fournissant encore que de l’or et ce métal s’accumulant en Espagne, la reine Isabelle de Castille dut modifier le rapport légal des deux étatons monétaires. Après la première moitié du XVIe siècle, l’or ayant cessé de dominer et l’argent étant importé en grande abondance, la valeur du métal inférieur subit une dépréciation que les gouvernemens, cédant à la force des choses, finirent par consacrer ; mais, à l’exception de ces deux changemens dans les lois monétaires, l’un purement local et l’autre européen, on voit plus tard la production de chacun des métaux précieux s’étendre et se restreindre alternativement, sans que le rapport de l’un à l’autre en reçoive une altération qui éveille ni qui appelle la sollicitude des pouvoirs publics.

« À partir de 1645 jusqu’au commencement du XVIIIe siècle, dit M. Michel Chevalier[1], l’argent prit le dessus à un degré remarquable : c’était le bon temps des mines du Potosi, et ainsi le poids de l’argent produit dépassait celui de l’or dans la proportion de 60 à 1 ; puis, sans que les arrivages de l’argent diminuassent, vinrent les beaux jours des mines d’or du Brésil. À la même époque, il sortait des trésors des gîtes aurifères du Choco, d’Antioquia, de Popayou. Le monde commercial reçut de l’Amérique 1 kilogramme d’or pour 30 kilogrammes d’argent. On passa ainsi le milieu du XVIIe siècle ; alors les mines d’argent du Mexique se mirent à étaler leur magnificence, et le rapport fut d’environ 40 à 1. Cependant le Brésil vint à baisser, pendant que les mines d’argent du Mexique élevaient leur production, et ainsi, au commencement du siècle, l’argent excédait cinquante-sept

  1. Des Mines d’argent et d’or du Nouveau-Monde, n° de la Revue des Deux Mondes du 15 octobre 1846 et du 1er avril 1847.