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ridicule, pendaient en longs tire-bouchons sur ses oreilles, comme une coiffure de femme. Il portait à sa boutonnière une rose grosse comme un chou. Je lui demandai qui lui avait donné cette fleur ; il me répondit avec le zézaiement gracieux de son dialecte : — Xè una bela toza, paron.

— Une belle jeune fille, repris-je, ne donne pas une rose sans qu’on l’en prie.

Go pregà, sior si.

— Comment, drôle, tu l’as priée ! Est-ce ainsi que tu gardes la foi promise ? Je te retirerai ma protection et j’écrirai au seigneur ingénieur de ne plus s’occuper de toi.

— Doucement ! dit Marco d’un ton patelin. Le teinturier de la rue des Fabri a chez lui, dans ce moment, une jeune nièce que j’ai connue à Murano. C’est la fille la plus rieuse du monde. Quand je passe devant sa porte, elle me jette de l’eau et m’appelle vilain noir. Puis-je endurer ces attaques sans y répondre ? Soyez juste, excellence ; j’aurais l’air d’une bête, d’un malappris ou d’un philosophe ennemi des femmes. On se lasse de pleurer en attendant sa fiancée. D’ailleurs tout cela n’est que pour le badinage.

— Ces badinages peuvent mener loin ; je ne les approuve point, Marco.

— Patron, la Muranelle a de l’esprit ; son oncle gagne de l’argent. Qui sait si le seigneur ingénieur ramènera Digia ?

— Un proverbe français dit qu’il ne faut point courir deux lièvres à la fois.

— Courir deux lièvres est impossible, excellence ; mais deux filles, c’est fort différent. Que Digia revienne, et je l’épouse ; sinon, je tâcherai d’attraper l’autre. Quel mal voyez-vous à cela ?

Si Marco eût connu les proverbes français, il m’aurait opposé celui qui conseille d’avoir deux cordes à son arc ; mais l’égoïsme le guidait plus sûrement que la sagesse des nations. En sortant de chez, moi, je rencontrai sur le pont des Dai le savant abbé ***, chanoine de Saint-Marc. Nous causions ensemble de documens que je cherchais touchant la mort de Stradella, lorsqu’il me montra une jeune fille coiffée du grand voile de Murano, qui s’avançait les yeux baissés par la rue des Fabri. — Regardez, me dit l’abbé à haute voix, regardez ce charmant modèle de vierge.

La Muranelle entendit ces paroles flatteuses, et nous remercia par un sourire et une inclination de tète. — Gageons, reprit l’abbé, qu’une Parisienne ne répondrait pas avec tant de douceur au compliment d’un passant.

— Patron, dit Marco en me tirant par mon habit, c’est la nièce du teinturier. Dites un peu si elle ressemble à un lièvre, et si j’ai tort de courir après elle ?

— Eh bien ! cours donc, répondis-je, Vénète que tu es ; je vois