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Turenne, qui commandait alors sur le Rhin, lui donna le spectacle d’une armée rangée en bataille et qu’il fit manœuvrer devant elle. Est-ce là que le grand capitaine, bien connu pour avoir toujours été sensible à la beauté, reçut l’impression passionnée qui se renouvela à Stenay en 1650, et qui, prudemment ménagée par Mme de Longueville, demeura toujours entre eux un tendre et intime lien ? Elle fit à Munster une entrée triomphale. Ses grâces toucheront les diplomates aussi bien que les guerriers. Elle se lia particulièrement avec le comte d’Avaux, dont nous avons déjà parlé, ami et correspondant de Voiture, de Mme de Sablé et de Mme de Rambouillet. Nous avons sous les yeux des lettres manuscrites de d’Avaux à Voiture fort agréables, mais, bien entendu, très peu naturelles, qui, à travers les citations latines alors à la mode entre gens qui se piquaient de belle érudition, marquent assez bien l’impression qu’avait faite Mme de Longueville sur le doyen de la diplomatie française. Elle ne paraît pas fort mélancolique à d’Avaux ; mais le vieux diplomate était plus propre peut-être à découvrir les intrigues des cabinets qu’à lire dans le cœur d’une femme :

« C’est à[1] Mme de Montausier et à Mme la marquise de Sablé que je dois les grâces que j’ai reçues de Mme de Longueville… Vous dites que le commerce est dangereux avec une personne si bien faite, comme si tant de disproportion et les grands espaces qu’il y a de tous costés entre ces personnes-là et nous autres bonnes gens ne me mettoient pas à couvert. Vous savez que l’éloquence de Balzac ne fait pas d’impression sur l’esprit d’un paysan. Non, non, je n’ai point de peur. Il seroit, étrange que dans une assemblée de paix je n’eusse pas assez de la foy publique pour ma conservation, et qu’avec les passeports de l’empereur et du roy d’Espagne Munster ne fût pas un lieu de sûreté pour moy… Je regarde pourtant, je ne m’arrache point les yeux. Je vois de la beauté plus que je n’en vis jamais ; je vois tout ce qu’on peut voir ensemble de grâces et de charmes, et ce je ne say quoy qui n’est nulle part ailleurs, ce me semble, avec tant de majesté :


Video igne micantes,
Sideribus similes oculos, video oscula, sed quæ
Est vidisse satis.


J’admire avec vous cette bonté, cette générosité et ces aimables qualités que nous louerons toujours à l’envi et que nous ne louerons jamais assez. La justesse de cet esprit, sa force et son étendue me donnent aussi de l’étonnement et me font quelquefois rentrer en moi-même avec dépit, car cela est tout-à-fait extraordinaire et trop au-dessus de l’âge et du sexe. Néanmoins, toutes ces belles choses ne gastent point mon imagination… Supposons que je fusse d’une matière aussi combustible que vous, qui vous plaignez encore des maux de la jeunesse : à quelle étincelle, je vous prie, pourrois-je prendre feu ? Une personne si précieuse, qui est venue de deux cents lieues chercher un vieux

  1. Bibliothèque de l’Arsenal, manuscrite de Conrart, in-4o, t. X.