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M. Maillart a un faible pour l’école italienne, qu’il admire Rossini, Donizetti, Hérold et M. Auber, et que cette admiration, que nous sommes loin de lui reprocher, lui joue parfois d’assez mauvais tours. L’originalité est une qualité qui se manifeste rarement dans les premières œuvres des jeunes artistes. On commence toujours par imiter quelqu’un, en se réclamant d’abord d’un maître préféré dont on voudrait suivre les traces; plus tard, lorsqu’on a dépensé tous les souvenirs que l’éducation a déposés en nous, on se révèle avec les propriétés originelles fécondées par le travail et la méditation. Aussi ne sommes-nous point alarmé pour l’avenir de M. Maillart : le point sur lequel nous voudrions fixer particulièrement son attention et celle de tous les jeunes compositeurs qui parcourent la même carrière, c’est le style, le caractère de l’instrumentation.

L’instrumentation, qui est à l’art musical ce que la couleur est à la peinture, a fait de nos jours de grands progrès. Des deux élémens qui composent un orchestre, — les instrumens à cordes et les instrumens à vent, — le dernier est devenu très prépondérant et semble chaque jour empiéter sur le terrain du quatuor, qui est la charpente séculaire d’un bon orchestre. Parmi les instrumens à vent, ce sont les instrumens de cuivre qui l’emportent sur les autres et qui étouffent de leurs bruyantes clameurs la voix douce et tempérée du basson, de la clarinette, du hautbois et de la flûte, c’est-à-dire que les grosses couleurs, celles qui frappent le plus les yeux de la foule, sont employées de préférence par les jeunes compositeurs qui ont de la verve et qui veulent produire de l’effet. Il résulte de la disproportion des deux grands élémens qui composent un orchestre, et de l’accroissement de jour en jour plus grand des couleurs fortes et criardes, un ensemble confus de sonorité qui fatigue promptement l’oreille du public, au lieu de la charmer. Ce phénomène s’est produit également dans l’histoire de la peinture, car les derniers maîtres de l’école vénitienne, au commencement du XVIIIe siècle, en étaient arrivés à un entassement de couleurs informes où l’on cherche vainement la pensée sur laquelle ils auraient dû s’appuyer sans cesse. Voyez, par exemple, les nombreux tableaux de Tiepolo. Or, il faut bien le dire, la couleur est un élément secondaire dans les arts; elle emprunte son plus grand effet de l’idée qu’elle met en relief et dont elle ne doit être que le rayonnement. Les grands coloristes, tels que Titien et Rubens, Rossini et Weber, sont des génies dont l’imagination radieuse couvrait de pourpre et de lumière les sentimens préexistans dont ils étaient animés. Ils pensaient d’abord et ils peignaient ensuite, tandis que les artistes médiocres procèdent d’une manière toute différente; ils aiment la couleur pour la couleur; ils entassent les teintes les plus criardes sans mesure, sans dessein; ils aiment le son pour le son, comme le paysan ou le sauvage qui s’enivre du frottement de deux cailloux. Il y a un peu de ce désordre dans l’instrumentation des jeunes compositeurs de ce temps-ci, et M. Maillart n’en est point exempt; on voit qu’il hésite, que sa verve, impatiente de se manifester, prend un peu au hasard de toutes les couleurs, afin sans doute qu’il y en ait pour tous les goûts; aussi manque-t-il de style, et les divers élémens de son orchestre flottent-ils à l’aventure, sans cohésion suffisante et sans unité. Ce défaut capital, très commun de nos jours, est surtout sensible dans la nouvelle partition de M. Maillart, qui fera bien de s’en préoccuper à l’avenir.


P. SCUDO.