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et palpable ! Sans demander à la poésie une préoccupation trop vive et trop exclusive des problèmes sociaux, il ne faudrait point cependant que son indépendance allât jusqu’à l’oubli des choses morales. Il est un côté, au surplus, par lequel M. Gautier se distinguera toujours de ses petits imitateurs et même de plus d’un poète de l’école du bon sens : c’est par une certaine vigueur d’instinct poétique, par son habileté à manier le rhythme et à l’assouplir à ses fantaisies païennes. M. Gautier appartient à une école quelque peu vieillie aujourd’hui. Depuis nombre d’années déjà, dans ce qu’on peut appeler la littérature contemporaine, il était facile de remarquer des symptômes de déclin. C’était une inspiration visiblement épuisée en tout ce qui touche à l’imagination. L’un des genres le plus en honneur de nos jours surtout a été en quelque sorte tué sur la place par la révolution de février, — c’est le roman. Pour nous qui en avons quelquefois ici poursuivi les excès, nous ne nous attendions guère, en vérité, à un tel auxiliaire, que nous eussions très volontiers repoussé, même au prix de ce léger avantage. La révolution de février n’a point déterminé la dissolution des écoles modernes, elle l’a précipitée en changeant les perspectives, les influences, les courans moraux et intellectuels. Que s’élèvera-t-il à la place? Là est la question pour le moment. Seulement, de cette dissolution, il tend insensiblement à se dégager des symptômes d’un autre ordre; il se forme des talens nouveaux qui s’essaient dans divers genres. Est-ce impuissance? est-ce une direction nouvelle du goût? Toujours est-il que les grandes inventions d’autrefois ont fait leur temps. Il y a un effort pour ressaisir un certain naturel, une certaine simplicité de conception et de style. Il est vrai que quelques esprits poussent cet amour du naturel jusqu’à des excès singuliers, comme M. Champfleury, par exemple, qui fait du réalisme en littérature à peu près de la même façon que M. Courbet en fait en peinture. M. Champfleury avait donné, il y a quelque temps, un triste spécimen de sa manière dans les Excentriques. Les Contes domestiques sont évidemment un progrès aujourd’hui. L’un de ces contes, — les Oies de Noël, — offre une assez curieuse peinture de la vie bourguignonne. Nous doutons cependant que la vulgarité, sous quelque nom que ce soit, parvienne jamais à être un genre poétique. Un autre jeune écrivain, M. Armand Barthet, publie quelques nouvelles, dont l’une, — Henriette, — ne serait ni sans grâce ni sans charme, si ce n’était le dénouement, où on respire une senteur singulière de mélodrame. Voilà comment il est toujours difficile de finir dans les romans comme dans la vie ! Au fond, il est utile de suivre cette littérature nouvelle ; mais nous ne voulons point en exagérer la portée. En réalité, toutes ces inventions sont assez frêles; elles semblent le fruit d’une jeunesse maladive, de courte haleine, et qui se ressent d’une époque d’allanguissement universel. Les auteurs eux-mêmes peuvent voir que leur premier besoin est de fortifier leur esprit par la méditation et par l’étude, de l’élargir par l’observation de la vie humaine, et de l’élever en le soumettant à cette grande loi morale qui est la plus pure et la plus féconde source d’inspiration. Tandis que nous nous arrêtons à ces symptômes de notre vie intellectuelle, l’histoire extérieure suit son cours autour de nous. Parlons d’abord de la Belgique; nous n’avons d’ailleurs cette fois que quelques mots à en dire pour constater une situation qui ne s’aggravera point, nous l’espérons, par la faute