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une majorité décidée d’un côté ou de l’autre. N’avez-vous pas vu pareille chose dans l’histoire, des gens qui ne se soucient pas de se trouver, contre leur intention, du côté le plus faible ? Bref, les plus déterminés malades ont été arrachés de leurs lits ; le zèle est venu en robe de chambre. Il y avait deux vastes dîners à deux tavernes, pour l’un et pour l’autre parti. À six heures, nous sommes entrés en séance. Sir William Yonge, appuyé par mon oncle Horace, a proposé M. Earle ; sir Paul Methuen et sir Watkin Williams Wynne ont proposé le docteur Lee, — et ils l’ont emporté à une majorité de quatre, 242 contre 238, — le plus grand nombre, je crois, qui ait jamais perdu une question. Vous n’avez pas une idée de leur huzza ! Concevez ce que doit être pour eux une victoire après vingt ans entiers de défaites. Nous avons eu un vote de perdu à cause d’un membre arrivé trop tard, un autre qui nous a abandonnés pour avoir été mal traité hier par le duc de Newcastle. — Ce pourquoi, selon toute probabilité, il le traitera bien demain. — Je veux dire pour nous avoir abandonnés. Sir Thomas Lowther, oncle de lord Hartington, a été apporté par lui, et il a voté contre nous. Le jeune Ross, fils d’un commissaire des douanes, et sauvé du déshonneur de refuser d’aller aux Antilles, quand c’était son tour, par sir R., qui lui a donné une lieutenance, a voté contre nous, et aussi Tom Hervey, qui est toujours avec nous, mais qui est fou tout-à-fait. Et quand on lui a demandé pourquoi il nous avait désertés, il a répondu : « Jésus sait ce que je pense ! Un jour je blasphème, et le jour suivant je prie. » Ainsi vous voyez quels accidens ont été contre nous ; autrement, nous gagnions notre partie. On nous crie que sir R. a mal fait ses calculs. Comment faire des calculs avec des hommes tels que Ross et cinquante autres qu’il pourrait nommer ? Il n’était pas très agréable d’être regardés en face pour voir comment nous supportions cela. Vous pouvez deviner comment je le supportais, moi qui prends si peu d’intérêt à aucune chose. J’ai eu l’avant-goût de ce que je dois attendre de toute sorte de gens. Au moment où nous venions de perdre la question, j’ai fui l’excessive chaleur de la chambre dans le cabinet de l’orateur, et il y avait là une quinzaine des nôtres. Un sous-portier crut qu’une nouvelle question était posée, ce qui n’était pas, et, sans nous en avertir, il ferma la porte sur nous. Quand je lui demandai comment il osait nous clore de la sorte, sans nous appeler auparavant, il me répondit insolemment que c’était son devoir et qu’il le ferait encore. Quelqu’un du parti était venu lui en donner l’ordre, lui disant qu’il serait puni, s’il faisait autrement. Sir R. est très animé et toujours en confiance. J’ai si peu d’expérience, que je ne serai étonné de lien, quelques scènes qui doivent s’ensuivre. Mon cher enfant, nous avons triomphé vingt ans. Est-il étrange qu’enfin la fortune nous délaisse, et ne devions-nous pas toujours nous y attendre, surtout dans ce royaume ? On fait grand bruit de l’année quarante et un, et l’on se promet tous les troubles qui ont commencé il y a cent ans à la même date. J’espère que leur pronostic est faux ; mais, en dût-il être ainsi, je saurais être heureux ailleurs. Une réflexion me soutiendra, très douce, quoique très mélancolique, c’est que, si notre famille doit être la victime sacrifiée qui la première calmera la discorde, du moins une personne, celle de la famille qui avait tout l’intérêt de mon cœur, et qui aurait le plus souffert de notre ruine, est à l’abri, tranquille au-dessus de la fureur du désordre. Rien dans le monde ne peut désormais atteindre son repos.