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releva encore chancelant, prit la petite fille par la main et se mit à gravir la pente escarpée qui conduisait à la terrasse.

Il fallut faire le tour de la poudrière, afin d, éviter la sentinelle placée à l’angle qui regarde la grande rade, et, arrivé à la porte du garde d’artillerie, frapper doucement, de peur d’être entendu du dehors. Dorot avait heureusement le sommeil léger des vieux soldats ; il s’éveilla dès les premiers coups et parut à la fenêtre.

— Ouvrez ! lui dit Mathieu à demi-voix.

— Ropars ! s’écria le sergent stupéfait.

— Plus bas ! et venez vite, reprit le marin, il y va de notre salut. Dorot descendit rapidement, tira le verrou et les fit entrer. Mathieu s’arrêta en dedans du seuil, l’enfant serré contre ses genoux.

— Que le ciel nous protège ! D’où sortez-vous, Ropars ? demanda le sergent.

— Vous le voyez, répliqua le marin, nous sortons de la mer, que nous avons traversée pour venir ici.

Dorot recula avec une exclamation. — Est-ce vrai ? s’écria-t-il ; au nom de Dieu ! qu’est-il donc arrivé pour que vous ayez ainsi exposé votre vie ?

— Il est arrivé, répliqua Mathieu, que Josèphe est morte ce matin de la contagion.

— Que dites-vous ?

— Ce que vous me demandez, Dorot ; et comme Geneviève et moi nous voudrions sauver l’autre, je vous l’ai amenée.

— Que le ciel vous récompense pour cette idée ! dit le sergent ; l’enfant est la bienvenue.

Il avait tendu la main à Mathieu ; mais celui-ci ne la prit pas.

— Songez-bien à ce que je vous demande, reprit-il ; peut-être que l’enfant vous apporte ici la maladie et le deuil.

— J’espère qu’il n’en sera rien, répliqua Dorot ; mais à la volonté de Dieu !

— Rappelez-vous aussi, ajouta le quartier-maître en insistant, que si l’on apprend la chose, il y a chance qu’on vous punisse d’avoir violé la quarantaine.

— Alors, à la volonté des hommes ! reprit le sergent avec simplicité.

— Mais pensez encore…

— À rien, Ropars, interrompit le garde ; en voilà assez, en voilà trop ; il ne s’agit plus de paroles ; vous m’avez amené la petite, je la prends.

Il s’était baissé vers Francine, qu’il souleva dans ses bras et avec laquelle il remonta jusqu’au cabinet qu’avait autrefois habité Geneviève ; il débarrassa lui-même l’enfant de ses vêtemens mouillés et la coucha dans l’ancien berceau de Michel.