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— Oui, oui, j’en suis sûr, continua Mathieu ; alors tu feras tout ce que nous te demanderons ?

L’enfant fit un signe affirmatif.

— Eh bien ! continua Ropars, il faut que tu ailles passer quelques jours chez ton oncle Dorot, et comme nous n’avons pas de canot, c’est moi qui te porterai à travers le passage. N’est-ce pas que tu seras tranquille au milieu de la mer quand tu auras les épaules de ton père pour chaloupe ?

L’enfant tressaillit. — J’aime mieux rester, dit-elle d’un accent précipité.

— C’est impossible, reprit le père, je veux te porter à la poudrière ; il le faut, et nous allons partir tout à l’heure ; mais si tu n’es pas brave, si tu vas crier, la route sera plus difficile, et peut-être qu’il m’arrivera malheur. Comprends-tu ?

— Oui… oui, je n’irai pas, répliqua la petite fille, qui commençait à trembler.

Geneviève l’attira de nouveau dans ses bras. — Paix, paix ! dit-elle en posant les lèvres sur ses cheveux et la berçant contre son cœur, les enfans doivent obéir… Dieu l’a ordonné… Fais ce qu’on te dit… Pour le père… Pour moi… Pour Josèphe !… Si elle pouvait parler, elle te dirait d’être douce et courageuse… Veux-tu donc la rendre triste dans le ciel ?

— Oh ! non, s’écria l’enfant en se rejetant dans les bras de Mathieu.

— Ainsi, tu vas venir ? demanda celui-ci.

— Oui, murmura la petite fille.

— Et tu n’auras pas peur, tu ne diras rien ?

— Non.

— Alors, en route ! reprit le garde, qui s’était levé et avait regardé par-dessus le parapet, la grande roche est découverte, il n’y a plus à tarder.


Il prit Francine dans ses bras et descendit rapidement un des sentiers qui conduisaient au bas de l’îlot. Geneviève le suivit dans une inexprimable angoisse. Tous trois arrivèrent à une pointe rocheuse qui s’avançait très loin dans les flots. C’était l’extrémité de la ligne de récifs servant à relier la poudrière et Trébéron. Ropars posa l’enfant à terre pour en reconnaître la direction. Le passage, éclairé par la lune, avait une teinte d’un vert pâle irisé de petites lignes blanches formées par les vagues légèrement frangées d’écume. Leurs ondulations étaient si faibles, qu’on eût dit un champ de blé vert moiré de camomilles blanches. Au-delà, l’île des Morts apparaissait tout entière dans la lumière nocturne, avec ses édifices jaunâtres, ses longs toits ardoisés et ses paratonnerres perçant la nue. Tel était le calme de la nuit qu’on entendait les pas de la sentinelle devant la guérite de granit bâtie