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le couple infortuné pour thème de railleries fort réjouissantes. Au milieu de ces jovialités se glissent souvent des dénonciations plus sérieuses contre les fonctionnaires ou les commerçans dont les actes déloyaux ont lassé la conscience publique. Cette partie du journal accueille aussi les œuvres poétiques de courte haleine. La littérature péruvienne ne peut encore prétendre à des succès bien sérieux. Cependant le public en masse, les femmes surtout, accueillent assez favorablement les productions de l’esprit national, à la condition toutefois qu’ils en pourront jouir sans grand effort. Les poètes liméniens cèdent à un impérieux besoin de publicité en confiant aux journaux et aux programmes des combats de taureaux des compositions souvent pleines d’humour et de talent, qui, après un jour d’existence, sont aussi oubliées que la feuille où elles se sont produites. Le travail se fait rarement sentir dans ces œuvres fugitives. Ces poésies naissent sans efforts comme des fleurs sauvages, et ce n’est que pour donner carrière à des sentimens qui demandent absolument à s’épancher que l’on prend la plume. — La politique, les femmes, les théâtres, les cantatrices italiennes, les taureaux, sont le prétexte d’une foule de satires, de sonnets, de madrigaux et de letrillas qui certes ne peuvent prétendre au mérite de la correction; mais une rare vigueur de style, une hardiesse qui ne recule pas toujours devant la trivialité de l’expression, éclatent dans ces divers essais, caractérisés souvent aussi par un tour élégant et ingénieux; pourtant leur qualité la moins contestable est une allure leste, piquante et naturelle. Quand l’influence de nos poètes modernes s’y fait sentir, ce qui arrive parfois, on peut du moins se convaincre qu’il existe à Lima de fort intelligens imitateurs. Le poète espagnol Zorrilla est peut-être celui dont s’inspirent le plus volontiers les imaginations liméniennes. L’auteur du spirituel ouvrage El Espqo de mi tierra (le Miroir de mon pays), M. Pardo, personnifie mieux que personne la littérature contemporaine du Pérou. Le recueil littéraire qu’il a rédigé pendant quelques années à lui seul contenait d’ordinaire dans chaque livraison une étude de mœurs remarquable par une grande finesse d’aperçus, des poésies où la gaieté de l’expression formait souvent, avec la tristesse et l’amertume de la pensée, un singulier contraste, et enfin quelque bluette en prose écrite à la course. M. Pardo a étudié avec fruit les anciens auteurs espagnols et a su, tout en sacrifiant au goût du jour, se tenir en dehors des exagérations; aussi trouve-t-on à la fois dans ses écrits la vigueur des maîtres de l’ancienne école et la fraîcheur et le coloris du style moderne. M. Pardo a fait pour Lima ce que l’humoriste Mariano de Larra a fait pour Madrid; il a dévoilé les ridicules et les préjugés de ses compatriotes, non pas comme un esprit atrabilaire, mais avec la fine et satirique gaieté de bon aloi d’un homme animé pour eux des meilleurs sentimens et désireux de