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mode. Dans la salle du Coliseo, aux représentations de las liricas, on ne remarquait pas une femme sur douze à laquelle on pût refuser sans sévérité l’épithète de bonita (jolie).

Le Coliseo est le rendez-vous de l’aristocratie féminine de Lima, les femmes d’origine espagnole. C’est dans les fêtes populaires qu’on rencontre surtout les cholitas et les sambitas. Les cholitas sont loin d’avoir la véhémence et la fierté des créoles blanches; leur physionomie couleur de santal, où s’épanouissent deux yeux d’un noir de jais légèrement relevés aux coins, reflète la timidité, la résignation, et cette étrange expression vaguement inquiète qui trahit des souvenirs douloureux ou des pressentimens funestes. Les sambitas ont une chevelure rude et ondulée que la sollicitude maternelle a depuis leur tendre jeunesse tressée en cordelettes et tirée avec effort dans la vaine espérance d’augmenter d’une ligne le front étroit qui accuse le sang africain. Un sourcil anguleux brusquement incliné vers le nez, un regard lubrique, des narines aux ailes mobiles, une bouche impudente et sensuelle, tout chez ces femmes respire la passion dans ce qu’elle a d’impétueux et de farouche. — Les cholitas et les sambitas de la campagne gouvernent un cheval avec une habileté et une hardiesse peu ordinaires; elles se tiennent en selle jambe de ci, jambe de là, al uso del païs, découvrant jusqu’au genou le moule irréprochable de leur bas de soie miroitante. C’est principalement à la fête des Amancaës, vers la Saint-Jean, qu’elles produisent dans tout leur éclat leurs talens hippiques. Les cerros arides qui forment les premiers degrés de la Cordillère des Andes se couvrent à l’improviste à cette époque de l’année d’un manteau vert tout émaillé de fleurs d’un jaune d’or. Ces fleurs ont donné leur nom à la fête. Cueillir quelques amancaës est le prétexte spécieux d’un rendez-vous où l’on se livre à des jouissances très peu pastorales, et où les cholitas, les sambitas exécutent les danses nationales avec le plus frénétique abandon. Quand, au coucher du soleil, les cavaliers des deux sexes rentrent en ville, luttant à l’envi de prouesses d’équitation, ils tiennent à honneur de montrer le butin qu’ils ont récolté sur les cerros; les amancaës fleurissent les boutonnières et les chevelures, éclatent aux chapeaux en couronnes et aux mains en gerbes d’or, et toute cette cohorte fleurie, bruyante, joyeuse et folle traverse dans un nuage de poussière l’Alameda Viejo, dont les contre-allées sont remplies de curieux qui viennent assister à leur pittoresque défilé.


II. — LES COUVENS DE LIMA.

Depuis les joutes sanglantes du cirque del Acho jusqu’aux danses joyeuses de la fête des Amancaës, les fêtes populaires de Lima nous