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du sentiment religieux et l’oubli de la mission même de la société. On s’est peu à peu éloigné de l’idée chrétienne, jadis si puissante sur les âmes, et qui enseignait à l’homme à chercher au dedans de lui-même quelques-unes des conditions de son bonheur ici-bas. On a perdu de vue que la société puise sa raison d’être dans le besoin que les hommes ont les uns des autres, et que, sans cesse développé par la civilisation, ce besoin, après avoir modifié les relations entre les individus, modifie nécessairement les relations entre les diverses classes sociales. Les pages les plus belles et les plus consolantes de l’histoire sont précisément celles qui nous montrent une tutelle générale organisée par les puissans au profit des faibles, une haute protection, quelquefois accordée généreusement, quelquefois conquise, mais toujours indispensable pour avancer sur la voie du progrès social. Malheureusement, dans la populeuse cité lyonnaise, l’esprit de désordre avait étouffé toute idée de rapprochement et de mutuel concours. Les classes les plus éclairées avaient-elles compris assez tôt la nature du rôle que leur imposaient les circonstances et l’esprit de notre temps? Il faut le dire, il est arrivé là ce qui arrive presque toujours : l’habitude empêche d’apercevoir les besoins nouveaux, et on reconnaît seulement le lendemain les justes exigences de la veille. Quant aux classes populaires, elles ont été dominées par cette croyance, si manifestement fausse, qu’elles pourraient se suffire à elles-mêmes. L’expérience, et une cruelle expérience, ayant dévoilé les sources du mal, les moyens à mettre en œuvre pour y remédier doivent tendre à faire revivre ces principes qui restent, à travers les siècles, sous une forme ou sous une autre, la condition essentielle de la moralisation des hommes et du développement de la civilisation.

Les efforts si dévoués du clergé de Lyon pour réveiller les idées religieuses sur un sol que l’indifférence a desséché répondent merveilleusement aux exigences de la situation morale. Le sentiment chrétien peut seul infuser un sang nouveau dans des veines appauvries. Les semences qui n’ont pu germer sou, la triste influence du socialisme fructifieraient sous un principe qui enseigne à l’homme qu’avant d’entreprendre une œuvre de transformation sociale, il doit commencer par se réformer lui-même, et qui tient compte des besoins matériels sans en faire la seule préoccupation de la vie.

A côté de l’enseignement religieux visant à rapprocher les cœurs, les institutions civiles ont à remplir ici un rôle important : rapprocher les intérêts. L’une et l’autre tendance peuvent se prêter un mutuel appui, car elles aspirent également, au milieu des causes secondaires de division, à resserrer les liens qui enveloppent tous les élémens de la fabrique dans une commune destinée. La séparation des intérêts, séparation si violente du côté des ouvriers, s’était produite à