Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui ne se cachait de rien. Les mœurs publiques toléraient même ce qui ne s’avouait pas. Les passions que la liberté engendre et nourrit étaient envenimées par les souvenirs et les ressentimens qu’une révolution récente encore laissait après elle : l’intérêt liait les majorités que formait l’esprit de parti et que divisait l’intrigue. Walpole ne valait pas mieux que son temps, et ne songeait nullement à l’améliorer. Loin de rêver des réformes, il se plaisait à dire qu’il n’était ni un saint ni un Spartiate. Loin de chercher à supprimer ou à diminuer la corruption, il l’employait hardiment, habilement, avec une sorte de dignité, plus exact à payer ses amis qu’empressé d’acheter ses adversaires, craignant de dégrader le pouvoir s’il permettait que l’on gagnât plus à l’attaquer qu’à le servir ; mais il n’est pas vrai qu’il ne gouvernât que par la corruption : elle ne saurait être l’unique moyen d’un pouvoir durable. L’esprit ferme et droit de Walpole, sa connaissance des hommes, son adresse à les conduire, son expérience des affaires, sa fidélité invariable à sa cause, sa modération dans l’exercice du pouvoir comme son opiniâtreté à le conserver, son mépris pour les plaisirs de l’imagination et pour les amusemens de la vanité, enfin un certain accord de toutes les qualités utiles qui suffisent à l’homme d’état et qui ne suffiraient pas au grand homme, voilà ce qui explique, mieux que toutes les déclamations satiriques sur les mœurs parlementaires, voilà ce qui justifie même la réussite et la durée de son administration. L’histoire, en le jugeant, doit tenir compte des circonstances au sein desquelles il a vécu, se rappeler la triste condition des choses humaines, et reconnaître, en le comparant, que la part du bien fut supérieure à celle du mal. La cause des whigs. celle de la révolution de 1688 (c’est la cause même du gouvernement libre), peut opposer son nom à celui des plus sages ministres dont se vante le pouvoir absolu. Grâce à une habileté de bon sens plus que de génie, il est du petit nombre de ceux qui ont prouvé la possibilité de fonder par une révolution et de gouverner dans la liberté ; mais il ne faut rien exagérer, l’homme et le ministre sont sans éclat, et, comme le dit lord Mahon, il y a entre Chatham et Walpole la différence de la gloire au succès.

Dévoué dès sa jeunesse à la cause de la monarchie nouvelle, ou. comme on parlait alors, de la succession protestante, secrétaire de la guerre, puis trésorier de la marine sous la reine Anne et le ministère de Godolphin, il quitta le pouvoir avec les whigs. Injustement accusé. mis à la Tour, il se vit deux fois expulsé du parlement, et n’y rentra qu’après l’avènement de la maison de Brunswick et la chute du cabinet d’Oxford et de Bolingbroke. Nommé payeur-général de l’armée par l’administration de Townshend et de Stanhope, il devint bientôt chancelier de l’échiquier et premier lord de la trésorerie (octobre 1715),