Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/530

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

presque toujours du même esprit que la Glaneuse. Elle s’appliquait ardemment à semer la haine dans les âmes, à soulever ceux qui prêtent leurs bras et leur temps à l’œuvre industrielle contre ceux qui donnent leurs idées et leurs capitaux.

Tandis que la presse adressait aux classes populaires ces provocations incessantes, diverses sociétés secrètes, récemment constituées à Lyon, sous l’égide des associations parisiennes, saisissaient un à un les ouvriers de la fabrique, et elles finirent par en englober un très grand nombre. Outre la Société des Droits de l’homme, dont l’influence était prépondérante, mais qui fut souvent très divisée, on avait la Société du Progrès, la Société des Amis de la presse, la Société des Hommes libres, etc. Les sentimens que puisaient dans ces réunions occultes les chefs d’atelier et les compagnons, ils les rapportaient ensuite dans leurs associations mutuelles. Le mutuellisme, promptement dénaturé par le contact de la Société des Droits de l’homme, s’attribua le droit d’organiser le refus du travail comme barrière à l’abaissement des salaires : c’était en d’autres termes le droit de commander et de diriger les chômages. L’idée de solidarité fut bientôt poussée si loin, que la réduction la plus minime du prix des façons, pour un seul article, pour un seul ouvrier, exigée par un seul fabricant, dut former le signal de la cessation immédiate des travaux dans toute la fabrique, dans les ateliers même où l’ouvrage était le plus convenablement rétribué. Au point de vue des chefs d’atelier, c’était là un mauvais calcul : il eût été plus habile de favoriser les patrons qui payaient un salaire suffisant, afin de stimuler les autres. On n’aurait pas au moins présenté ce révoltant spectacle d’une peine appliquée au hasard, avec un dédain profond des lois de la justice; mais ceux qui poussaient les tisseurs de soie à répudier le système des interdictions partielles savaient bien à quel but ils tendaient. Par le droit de suspendre d’un mot le mouvement de trente mille métiers, le mutuellisme devenait maître absolu de la tranquillité publique. Eu empêchant le cœur de la fabrique de battre, il n’arrêtait pas la vie, mais il pouvait en déplacer le siège et faire refluer vers l’émeute toute l’énergie chassée des ateliers. Ainsi l’idée d’association avait conduit à l’idée de coalition, et de cette dernière on était passé à celle de révolution. Jamais une masse d’hommes, qui ne manquait pas pourtant d’une certaine force de volonté, ne s’était laissé entraîner plus servilement, par suite de fausses démarches et d’idées mal comprises, vers un but qui n’était pas le sien.

Quant au choix du moment où l’insurrection devait éclater, la fraction la plus téméraire des sociétés secrètes crut avoir trouvé, dès le début de l’année 1834, l’occasion favorable de faire sortir une tempête politique d’une crise industrielle. Les mutuellistes, réunis en assemblée générale, avaient prononcé la suspension du travail pour une faible réduction sur la façon des peluches; mais, par suite des tiraillemens