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qu’il ne fût point homme, et c’est attaquer l’ouvrage de Dieu que de s’élever contre la société humaine. Permettez-moi, monsieur, de vous proposer à mon tour une difficulté avant de résoudre la vôtre. Je vous épargnerais ce détour, si je connaissais un chemin plus sûr pour aller au but.

« Supposons que quelques savans trouvassent un jour le secret d’accélérer la vieillesse et l’art d’engager les hommes à faire usage de cette rare découverte, persuasion qui ne serait peut-être pas si difficile à produire qu’elle paraît au premier aspect, car la raison, ce grand véhicule de toutes nos sottises, n’aurait garde de nous manquer à celle-ci. Les philosophes, et surtout les gens sensés, pour secouer le joug des passions et goûter le précieux repos de l’ame, gagneraient à grands pas l’âge de Nestor et renonceraient volontiers aux désirs qu’on peut satisfaire, afin de se garantir de ceux qu’il faut étouffer : il n’y aurait que quelques étourdis qui, rougissant même de leur faiblesse, voudraient follement rester jeunes et heureux, au lieu de vieillir pour être sages. Supposons qu’un esprit singulier, bizarre, et, pour tout dire, un homme à paradoxes, s’avisât alors de reprocher aux autres l’absurdité de leurs maximes, de leur prouver qu’ils courent à la mort en cherchant la tranquillité, qu’ils ne font que radoter à force d’être raisonnables, et que, s’il faut qu’ils soient vieux un jour, ils devraient tâcher au moins de l’être le plus tard qu’il serait possible.

« Il ne faut pas demander si nos sophistes, craignant le décri de leur arcane, se hâteraient d’interrompre ce discoureur importun. Sages vieillards, diraient-ils à leurs sectateurs, remerciez le ciel des grâces qu’il vous accorde, et félicitez-vous sans cesse d’avoir si bien suivi ses volontés. Vous êtes décrépits, il est vrai, languissans, cacochymes, tel est le sort inévitable de l’homme, mais votre entendement est sain ; vous êtes perclus de tous les membres, mais votre tête en est plus libre ; vous ne sauriez agir, mais vous parlez comme des oracles, et, si vos douleurs augmentent de jour en jour, votre philosophie augmente avec elles. Plaignez cette jeunesse impétueuse, que sa brutale santé prive des biens attachés à votre faiblesse. Heureuses infirmités, qui rassemblent autour de vous tant d’habiles pharmaciens fournis de plus de drogues que vous n’avez de maux, tant de savans médecins qui connaissent à fond votre pouls, qui savent en grec le nom de tous vos rhumatismes, tant de zélés consolateurs et d’héritiers fidèles qui vous conduisent agréablement à votre dernière heure ! Que de secours perdus pour vous, si vous n’aviez su vous donner les maux qui les ont rendus nécessaires !

« Ne pouvons-nous pas imaginer qu’apostrophant ensuite notre imprudent avertisseur, ils lui parleraient à peu près ainsi : — Cessez, déclamateur téméraire, de tenir ces discours impies ? Osez-vous blâmer