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la voix divine appela tout le genre humain aux lumières et au bonheur des célestes intelligences, tous ceux-là tâcheront, par l’exercice des vertus qu’ils s’obligent à pratiquer en apprenant à les connaître, de mériter le prix éternel qu’ils en doivent attendre ; ils respecteront les sacrés liens des sociétés dont ils sont les membres ; ils aimeront leurs semblables et les serviront de tout leur pouvoir ; ils obéiront scrupuleusement aux lois et aux hommes qui en sont les auteurs et les ministres ; ils honoreront surtout les bons et sages princes qui sauront prévenir, guérir ou pallier cette foule d’abus et de maux toujours prêts à nous accabler ; ils animeront le zèle de ces dignes chefs en leur montrant sans crainte et sans flatterie la grandeur de leur tâche et la rigueur de leur devoir ; mais ils n’en mépriseront pas moins une constitution qui ne peut se maintenir qu’à l’aide de tant de gens respectables qu’on désire plus souvent qu’on ne les obtient, et de laquelle, malgré tous leurs soins, naissent toujours plus de calamités réelles que d’avantages apparens. » Ainsi les mondains, ceux à qui la voix céleste ne s’est pas fait entendre, n’aboliront pas la société, parce que c’est le milieu le plus commode à leurs esprits inquiets, à leurs cœurs corrompus et à leurs désirs effrénés. Et les chrétiens, car c’est des chrétiens sans doute que Rousseau veut parler, quand il parle de ceux qui furent honorés dans leur premier père de leçons surnaturelles, et les chrétiens, que feront-ils ? Ils maintiendront la société dont ils sont membres ; ils respecteront les lois, les magistrats, les ministres, c’est-à-dire qu’ils ne changeront rien au train du monde, tout en tâchant de l’améliorer. Seulement, et c’est un dernier et innocent hommage que Rousseau rend aux maximes de son discours, ils mépriseront l’ordre social qu’ils conserveront, et ils lui reprocheront d’avoir besoin de trop de vertus pour se soutenir.

Nous voyons déjà les paradoxes du discours s’effacer devant le bon sens modeste et simple des notes. Dans ses Dialogues, ouvrage singulier où Rousseau s’attache à justifier ses écrits et qui témoigne de cette préoccupation maladive du moi qui était la folie de Rousseau ; dans ses Dialogues, Rousseau revient encore sur son discours de l’inégalité des conditions humaines, et c’est là surtout que nous allons trouver sa véritable pensée. Bizarre procédé de l’auteur, dans ses ouvrages, de mettre l’erreur au frontispice et de cacher la vérité dans les coins ! « Dans ses premiers écrits, Rousseau[1] s’attache à détruire ce prestige d’illusion qui nous donne une admiration stupide pour les instrumens de nos misères et à corriger cette estimation trompeuse qui nous fait honorer des talens pernicieux et mépriser des vertus utiles. Partout il nous fait voir l’espèce humaine meilleure, plus sage

  1. Dans les Dialogues, Rousseau parle de lui-même à la troisième personne.