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JEAN-JACQUES ROUSSEAU
SA VIE ET SES OUVRAGES.


IV.

LE DISCOURS SUR L’INÉGALITÉ DES CONDITIONS.[1]

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I.

Pourquoi y a-t-il des riches et des pauvres, des grands et des petits ? Pourquoi n’avons-nous pas tous la même destinée et la même fortune ? Terrible question que nous adressons à Dieu et à la Société dans nos jours de dépit et de souffrance, et qui fait tantôt des athées et tantôt des révolutionnaires ; question douloureuse que les bons et les compatissans se font aussi quand ils voient souffrir leurs semblables, et qui reste, pour eux, un mystère divin, dont ils essaient d’adoucir la rigueur par leurs bienfaits, sans chercher à en pénétrer la profondeur. Mais qu’elle vienne de l’envie et de la cupidité, qu’elle vienne de la curiosité ou même d’un sentiment de justice, la question de l’inégalité des conditions humaines est au fond de toutes les plaintes et de tous les doutes de l’homme ; elle irrite les envieux, elle inquiète les curieux, elle afflige les bons. Il n’y a que l’égoïste qui trouve que tout est dans l’ordre naturel, lorsque l’inégalité est à son profit.

Pourquoi les conditions humaines sont-elles inégales ? dit Rousseau. Parce que l’homme se développe, et il se développe surtout dans la société. « L’inégalité, étant presque nulle dans l’état de nature, tire sa force et son accroissement du développement de nos facultés et des

  1. Voyez les livraisons des 1er janvier, 15 février et 1er mai, pour les premiers chapitres de cette série.