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avait pas d’existence possible pour la Sicile, si elle eût voulu s’isoler dans son indépendance ; trop faible pour se faire respecter, elle devait ou retomber sous le joug napolitain ou être entraînée dans les bras d’une grande puissance maritime, c’est-à-dire échanger la domination du roi Ferdinand contre celle du lord haut-commissaire des îles Ioniennes. Ce n’était pas une telle condition que les patriotes siciliens entendaient faire à leur pays ; ils voulaient rester sujets, mais sujets libres du roi de Naples, et pour cela ils ne comptaient que sur la France. L’intérêt que nous avions à ne laisser la Sicile tomber à aucun prix sous le protectorat britannique leur répondait de l’assistance que notre gouvernement leur prêterait auprès du roi Ferdinand, pour obtenir de ce prince les institutions qu’ils réclamaient, et l’opinion généralement accréditée que telle serait la conduite de la France dans la crise qui se préparait nous avait créé, soit à Naples, soit à Palerme, d’ardentes sympathies, dont nos marins avaient recueilli les témoignages.

Peu de mois après, l’insurrection sicilienne éclata. L’escadre était rentrée à Toulon ; mais notre diplomatie, préparée à l’événement, commençait déjà à parler et à agir dans le sens qui vient d’être défini, lorsque survint la révolution du 24 février, brisant violemment les traditions de notre politique, changeant ou discréditant nos agens, depuis ce jour jusqu’à celui où la flotte de l’amiral Baudin parut devant Naples, tout ce qui s’était passé avait concouru à rendre la France suspecte, odieuse même, et à annuler son influence.

Là, comme partout ailleurs, les événemens de Paris avaient porté leur fruit. Le patriotisme éclairé, qui demandait de sages réformes, avait fait place à l’audace révolutionnaire. En Sicile, les choses étaient allées à l’extrême ; le lien qui unissait les deux couronnes avait été imprudemment brisé, et le peuple sicilien, en proclamant son indépendance, s’était livré fatalement à l’Angleterre. L’escadre britannique n’avait point encore paru ; mais elle était si proche de sa station de Malte, elle dominait si sûrement le cours des événemens, qu’elle était certaine d’arriver à l’heure décisive, et que l’arbitrage de ce grand litige semblait ne pouvoir lui échapper. À Naples même, l’autorité du roi était en péril ; le vertige révolutionnaire gagnait chaque jour ; ce n’étaient que concessions inutiles et tardives, intrigues qui se croisaient en tout sens, alternatives de confiance extrême et d’extrême découragement ; tout annonçait une prochaine catastrophe. C’est au milieu de cet état de choses que l’escadre française avait reparu dans les eaux de Naples, avec les mêmes équipages, les mêmes officiers, et j’ajoute avec le même esprit que huit mois auparavant. La révolution de février avait pu renverser un trône, elle n’avait rien changé dans l’opinion et les sentimens qui régnaient à bord de nos vaisseaux. Si le gouvernement n’était plus le même, les intérêts de la France n’avaient