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frappé la marine ; pendant plus de vingt ans, notre histoire navale n’offre guère qu’une longue série de revers, supportés avec un héroïsme d’autant plus grand qu’il était méconnu, et, il faut bien le dire, ces revers s’expliquent surtout par le malheur, inhérent aux révolutions, de briser violemment toutes les traditions. Celles de notre marine, rompues, on sait trop de quelle manière, en 1793, ne purent se reformer que très imparfaitement pendant les guerres de l’empire, et la trace même en avait disparu, lorsqu’il y a treize ans les événemens commandèrent à la France d’avoir une flotte qui pût venir en aide aux intérêts de la politique et lui assurer en Europe sa juste influence. On va voir par quelle suite d’efforts ce qui lui manquait alors lui fui donné, et peut-être sortira-t-il de ce simple récit une utile conviction : c’est que, si la France veut conserver une marine, en d’autres termes, si elle veut peser en Europe de tout le poids qui lui appartient, elle doit s’efforcer de ne jamais livrer sa flotte aux influences capricieuses de l’état révolutionnaire. Là où manquent l’esprit de suite et l’action continue d’une pensée toujours la même au milieu du changement des hommes, là où manquent les traditions, il n’y a point de marine.

Comme on l’indiquait tout à l’heure, c’est à l’année 1839 qu’il faut rapporter la naissance de notre escadre. La station du Levant, forte au printemps de trois vaisseaux seulement, en comptait treize au mois de novembre. L’année suivante, la flotte s’éleva jusqu’au nombre de vingt vaisseaux. Le chiffre commença à s’abaisser en 1843, et tomba jusqu’à cinq en 1847, Là s’arrêta le mouvement de décroissance, et cet excellent noyau a eu le bonheur de survivre à la révolution de février 1848. Tel il existe encore aujourd’hui.

De 1839 à 1852 point d’interruption dans la vie d’escadre. Les vaisseaux, soumis à une discipline uniforme, n’ont point cessé d’être placés sous l’œil et la main de l’amiral qui les commande. Pendant ces treize années, l’escadre a eu des missions bien diverses à remplir, elle a été appelée à rendre au pays des services de différente nature, qui ont été plus ou moins appréciés ; mais ce qui, à nos yeux, est de la plus haute importance, elle est toujours restée une et entière, formant le même tout, et prête à chaque instant à accomplir tout ce que les circonstances ont pu exiger d’elle.

Entrons maintenant dans le récit de sa modeste et honorable histoire.

Au mois de juin 1839, de nos trois vaisseaux stationnés dans le Levant, un était à l’hôpital. Une épidémie scorbutique avait éclaté à bord, et l’amiral avait laissé le navire au mouillage d’Ourlac, dans le golfe de Smyrne, pendant que l’équipage, débarqué et mis sous la tente, recevait les soins qui devaient le délivrer du fléau. Les deux autres vaisseaux, dont l’un, l’Iéna, portait le pavillon du chef, étaient venus