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compagnons insensés et des jeunes filles folâtres, je me suis couché sur des feuilles de roses, j’ai rempli mes nuits de banquets et de chants d’amour, j’ai demandé aux voluptés d’endormir mes douleurs ; mais les voluptés étaient un poison, les roses de ma couche avaient des plis, qui me blessaient ; le serpent était sous les fleurs. Hilda, tu l’as dit, je n’étais pas heureux.

— Et ensuite qu’as-tu fait ?

— Ensuite j’ai visité une autre ville dont tu n’as pas entendu parler ; le nom de cette ville est Alexandrie. Là se trouvent des hommes qui affirment avoir des communications avec les esprits célestes, qui enseignent à s’élever par la contemplation et l’abstinence à la participation des choses divines. Je me suis adressé à ces hommes, j’ai étudié leur science occulte, et comme eux j’ai combiné les nombres mystérieux, j’ai tracé les figures cabalistiques, j’ai essayé des enchantemens et des prestiges ; mais bientôt j’ai ri de ma crédulité toujours déçue, je suis retombé dans les pièges de la mollesse et dans les langueurs de l’ennui. Cependant je n’ai pas entièrement renoncé à mes recherches. Partout où il y avait un culte secret, des rites étranges, je me suis fait initier sans beaucoup d’espoir, mais sans pouvoir me lasser jamais. J’ai visité la synagogue des Juifs, j’ai pénétré dans les antres de Mithra, j’ai fait ruisseler sur ma tête le sang des tauroboles.

— Et tu n’es pas entré dans l’église du Dieu des chrétiens ?

— J’ai tenté aussi cette voie, mais là je n’ai pas trouvé ce que je cherchais. J’étais conduit de ce côté par les souvenirs de mon enfance, je me sentais attiré par la beauté des préceptes, je me serais senti la force de renoncer comme Augustin à toutes ces voluptés qui ne rassasiaient point mon ame ; mais les mystères incompréhensibles me repoussaient ; mon esprit, accoutumé à comparer les doctrines de tous les sages, en retrouvait les débris dans celle de Jésus. Je ne pouvais voir dans le Christ qu’un philosophe divin sorti d’une nation grossière, un Socrate barbare. D’ailleurs, cette religion à peine arrivée à l’empire n’est-elle pas déjà divisée en mille sectes qui se contredisent et se réprouvent ? A qui entendre ? à qui croire ? Et la pureté des premiers temps ne s’efface-t-elle pas chaque jour ? N’y a-t-il pas des évêques ambitieux, des prêtres impudiques, scandale et honte de l’église ? Ah ! la religion chrétienne est comme les autres : elle a de magnifiques promesses et ne sait pas les remplir ; elle a voulu changer le monde, le monde ne changera point ; elle se soutient par l’appui des empereurs, elle se propage par l’engouement de la foule, elle séduit de temps en temps un bel esprit à sa doctrine : elle ne pénètre point profondément dans les rangs élevés de la société ni parmi les habitans de la campagne. Le monde romain est trop vieux pour apprendre une foi nouvelle Mais je ne puis comprendre comment je me suis laissé