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veux goûter le plaisir ; et voilà, cela aussi était vanité ? » Lucius ! le livre a-t-il menti pour toi ? es-tu donc heureux sans Dieu ?

Ainsi l’auteur désabusé de l’Ecclésiaste avait enseigné à la chrétienne sans expérience les misères de la vie humaine, et, une secrète sympathie pour Lucius joignant sa lumière à celle de l’Écriture, Hilda, à travers les paroles légères qu’il jetait au vent, avait deviné qu’une amertume était dans son cœur. Guidée par l’instinct de la religion et de l’amour, la main de la jeune fille avait touché la blessure.

Sentant qu’une esclave ignorante pénétrait ainsi dans la portion la plus intime de son ame, Lucius oublia cet enjouement qu’il affectait ; tout un monde de sentimens et d’idées qui dormaient dans son sein fit une explosion soudaine, et, changeant tout à coup de voix et de visage, il s’écria : — Non, non, je ne suis point heureux ! Et comment le serais-je, quand mon esprit route dans une incertitude qui le tue ? Ah ! l’homme ne peut vivre au hasard, il ne peut se borner aux biens vulgaires. Il lui faut autre chose ; il lui faut une réponse à cette question que je me suis faite tant de fois : Où est la vérité ?

— Cherchez, et vous trouverez, a dit le Seigneur.

— Ah ! je l’ai cherchée partout, cette vérité aussi nécessaire à l’esprit de l’homme que l’est à ses yeux le soleil. Je l’ai demandée à toutes les écoles et à tous les systèmes. Avant de railler en désespéré, je me suis efforcé de croire. Simple jeune fille si calme dans ta foi naïve, tu ne sais pas les tourmens de la pensée qui se fatigue à poursuivre la certitude. Tu ne sais pas tout ce que les hommes ont imaginé pour se soustraire au supplice du doute. Tu ne me comprendrais pas, si je te racontais tous les rêves et les délires de ceux que le monde appelle des sages. Vois-tu, loin d’ici, sous un plus beau ciel, il est une ville favorisée de tous les dons de la nature et du génie : on la nomme Athènes.

— Je connais cette ville : c’est là que l’apôtre saint Paul a prêché le Dieu inconnu.

— Ce Dieu est le mien, Hilda ! Eh bien ! dans cette belle Athènes, parmi ses ingénieux enfans, j’ai consumé les plus heureuses années de ma jeunesse à chercher le Dieu que Paul annonçait à l’aréopage. Tantôt suspendu aux lèvres d’un maître qui prétendait me dévoiler les secrets de l’univers, tantôt courbé durant mes insomnies sur ces livres qui font l’admiration des siècles, jusqu’à l’heure où ma lampe studieuse mourait dans les rayons du matin ; tantôt errant dans la nuit au bord des flots agités comme mon ame ou muets comme ma raison, — j’ai retourné dans tous les sens l’énigme de la destinée mortelle, et tout cela en vain ! Oh ! alors j’ai pris en pitié et en dérision cette science qui ne m’apprenait rien ; j’ai brûlé ces livres menteurs : j’ai éteint ma lampe inutilement studieuse. Alors j’ai appelé à moi des