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plusieurs jours dans les grandes salles de l’hôtel de Condé, avant d’être transportés à Notre-Dame. Le peuple se pressait pour les contempler. Et en même temps que l’orgueil patriotique faisait battre tous les cœurs, on était ému jusqu’aux larmes en apprenant que le jeune capitaine, aussi humain et aussi pieux que brave, avait fait fléchir le genou à toute l’armée sur le champ de bataille pour remercier Dieu, qu’ensuite il avait pris soin des blessés, vainqueurs ou vaincus, comme s’ils étaient de sa propre famille, les consolant, les encourageant, leur distribuant les plus abondans secours sans jamais les humilier, et qu’il avait demandé pour ses lieutenans toutes les récompenses, ne voulant pour lui que la gloire, comme les héros des tragédies et des romans dont il était épris avec tout son siècle, le Cid, Polexandre, Cyrus. Bientôt on sut qu’après quelques jours donnés à la religion et à l’humanité, le duc d’Enghien avait repris la poursuite de l’ennemi, et qu’il était déjà sous les murs de Thionville.

La maison de Condé avait besoin de l’éclat et de la force que lui renvoyait la victoire de Rocroy pour faire face à ses propres ennemis et tirer satisfaction de l’insulte qui venait de lui être faite dans la personne de Mme de Longueville.

Il faut se faire une idée juste de la situation des affaires et de celle des partis qui se disputaient le gouvernement pour saisir l’importance d’une aventure qui en elle-même semble assez peu de chose.

Depuis la mort de Richelieu, il s’était formé une faction puissante composée de tous ceux que l’impérieux cardinal avait sacrifiés à ses desseins, qu’il avait exilés de la cour ou de la France, et qui, leur redoutable ennemi au cercueil, brûlaient de s’emparer de ses dépouilles. Ils croyaient pouvoir compter sur la reine Anne, car elle aussi elle avait été opprimée, et c’était pour son service qu’ils avaient encouru la persécution. La faveur de la régente leur paraissait donc une dette, et ils la réclamaient d’une façon qui peu à peu blessa la reine et la tourna contre eux. À mesure qu’ils perdaient du terrain auprès d’elle, Mazarin en gagnait. Il était jeune encore, beau, doux, insinuant, fidèle à la politique de Richelieu, son maître, mais la pratiquant différemment ; d’un esprit moins élevé et moins vaste, n’unissant pas, comme son incomparable devancier, le génie de l’administration dans toutes ses branches à celui de la politique générale ; particulièrement diplomate, mais diplomate du premier ordre, et ayant attaché son nom aux deux plus grands traités du xviie siècle, le traité de Westphalie et celui des Pyrénées ; inépuisable en ressources et en expédiens ; préférant toujours l’artifice à la violence, ménageant tout le monde, traitant avec tous les partis, aimant mieux les corrompre que d’avoir à les exterminer ; s’appliquant, surtout en 1643, à pénétrer dans le cœur de la reine, comme aussi l’avait tenté Richelieu, mais possédant bien