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pour me laisser désarmer ou convaincre par le bruit des battemens de mains.

L’Atalante, encore plus vivement applaudie que la Poésie légère, doit exciter une répugnance plus obstinée chez tous les esprits qui comprennent les devoirs de la statuaire. Il y a certainement dans l’exécution de cette figure une habileté infinie. Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de rendre avec plus de fidélité les détails que la nature offre à nos yeux. Comparez cette figure aux sujets de même genre traités par les Grecs, et vous comprendrez l’intervalle immense qui sépare la statuaire pure et fidèle à sa mission de la statuaire fourvoyée, se proposant comme but suprême le réveil des sens engourdis. Dans l’Atalante, Pradier, malgré sa connaissance profonde de l’harmonie linéaire, s’est attaché surtout, je pourrais dire exclusivement, à la reproduction des plis de la peau. Ce qu’il a voulu nous offrir, ce qu’il nous a offert, ce n’est pas une jeune fille rivale de Diane par l’agilité, mais une fille désirable, qui ne puisse être contemplée sans trouble et sans ardeur. Est-ce là le but de la sculpture ? Je ne le pense pas, car tous les grands ouvrages du ciseau antique se recommandent par la chasteté. Toutefois, pour être juste, je dois reconnaître que l’Atalante occupe dans la série des œuvres de Pradier un des rangs les plus élevés, car nulle part l’auteur n’a montré un talent plus remarquable pour l’imitation de la réalité. Il y a tel morceau qui pourrait se comparer aux peintures de Rubens. Si le sculpteur genevois ne possède pas comme le peintre de Cologne la faculté d’agrandir, d’idéaliser son modèle, il peut du moins lutter avec lui pour la fidélité. Le torse et les membres d’Atalante ne laissent rien à souhaiter sous le rapport de la vie. Le regard, en se promenant sur ce beau corps, compte les battemens du cœur et les frissons de la chair. Pour l’art réaliste, c’est à coup sur un triomphe éclatant ; mais pour l’art qui prétend relever de la Grèce, qui voit dans l’école attique le dernier mot du génie humain, que signifient les applaudissemens prodigués à l’Atalante? N’est-ce pas tout simplement une couronne offerte à l’apostasie ? Jamais un Grec n’eût conçu, n’eût exécuté une telle figure : tous les débris recueillis sur le sol d’Athènes, depuis les marbres jusqu’aux terres cuites, sont empreints d’un caractère incontestable de chasteté. Les élèves de Polyclète et d’Agéladas auraient cru se dégrader en assignant à la statuaire le rôle d’une courtisane, et je crois qu’ils avaient raison.

J’arrive aux deux figures que chacun peut voir en traversant les Tuileries, et qui marquent nettement les limites du talent de Pradier dans la sculpture païenne. Le Phidias et le Prométhée sont l’expression suprême de son talent. Dans ces deux figures, il a montré tout ce qu’il voulait, tout ce qu’il pouvait, tout ce qu’il savait. Il y a certainement dans la figure de Prométhée une rare habileté. Bien que cette