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satisfait, il était content de lui-même. Il ne s’inquiétait guère des souvenirs qu’il réveillait, et comptait trop souvent sur l’ignorance de la foule. Or, s’il y a un art au monde qui ne se prête pas à l’improvisation, c’est à coup sûr la statuaire. La forme privée du charme de la couleur, la forme réduite à elle-même ne s’élève jusqu’à la beauté vraie que par le choix sévère des lignes, et l’improvisation ne prend pas le temps de choisir. Cependant plus d’une fois Pradier a modelé dans le court espace d’une semaine une figure de six pieds, et sa main était si habile, son œil si exercé, que souvent il réussissait à séduire des juges difficiles; mais ces œuvres si rapidement conçues, exécutées avec une prestesse qui tenait du prodige, avaient grand’peine à soutenir l’analyse. Ceux qui connaissaient les principaux musées de l’Europe retrouvaient dans ces figures des mouvemens et des morceaux qu’ils avaient admirés à Rome ou à Florence, et, tout en gardant leur estime pour l’adresse du statuaire français, ils étaient bien forcés de le mettre au second rang parmi les hommes de sa profession. Qu’est-ce en effet que la main sans la pensée? L’exécution la plus étourdissante ne réussira jamais à dissimuler l’absence d’invention, et Pradier paraissait croire le contraire.

Pendant la troisième année de son séjour à Rome, l’Angleterre avait acquis les marbres du Parthénon, rapportés par lord Elgin, et Pradier partagea l’enthousiasme de Géricault pour ces débris merveilleux; mais je crois pouvoir affirmer qu’il ne les comprit pas aussi profondément que l’artiste normand. Il fut ébloui par la beauté des lignes, par la souplesse des draperies, et ne sut pas s’élever jusqu’à la pensée même de Phidias. La série entière de ses œuvres n’offre pas un groupe, une figure, je ne dis pas qui puissent se comparer aux débris du Parthénon, mais qui semblent inspirés par l’étude approfondie de l’art grec. Le statuaire à qui Périclès confia l’exécution du temple de Minerve demandait pour produire du temps et du repos. C’était dire assez clairement qu’il ne confondait pas l’improvisation avec l’invention. Du temps et du repos, c’est-à-dire la faculté de délibérer avant de mettre la main à l’œuvre, de revoir, de corriger, d’anéantir s’il le fallait ce qu’il jugeait indigne d’être soumis au jugement des Athéniens. Pradier, malgré son admiration pour Phidias, n’a jamais suivi cette méthode lente et laborieuse. Il ne demandait ni temps ni repos; il voulait bien faire, mais surtout faire vite, et oubliait que le Parthénon n’avait pas été improvisé.

Un de ses derniers projets, une de ses dernières espérances était d’élever un monument à la mémoire de Puget dans sa ville natale. C’était là certes un sujet capable d’échauffer son imagination. L’avouerai-je pourtant? cette pensée, excellente en elle-même, est une inconséquence dans la vie de Pradier, car il ne s’agit pas ici d’un travail