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elle réalise à la lettre le mot de Tacite : Ubi solitudinem faciunt, pacem appellant. La liberté religieuse n’est donc qu’un instrument entre les mains de Dieu pour rétablir l’unité et faire cesser les divisions qui, depuis si long-temps, existent dans la famille humaine; car la tolérance, en abattant les barrières qui séparent les hommes, en mêlant tous les idiomes, tous les dialectes, établit une universelle confusion qui ne peut se terminer que par un de ces deux phénomènes, ou une universelle indifférence, un universel dégoût entraînant un véritable anéantissement moral, ou une résurrection du sentiment religieux et une unité nouvelle établie sur une entente cordiale et sympathique, sur les espérances et les instincts qui sont communs à tous les hommes. C’est là que tendent manifestement les sectes aux États-Unis. Quant à ce théisme, qui n’est autre chose que la séparation du monde spirituel et du monde temporel, nous ferons remarquer qu’il fait également, bien que sous une forme différente, le fonds des croyances religieuses en Russie. Là aussi le monde spirituel est séparé du monde temporel, non par l’esprit de liberté civile qui distingue les Américains, mais par la toute-puissance de l’autorité civile. « Votre royaume n’est pas de ce monde, dit l’empereur à l’église officielle russe, et mes peuples ne doivent obéissance qu’à moi seul, » comme les unitaires et les universalistes disent aux sectaires : « Dieu n’est d’aucune secte, et les fidèles n’adorent point Dieu en suivant les rites et les liturgies qui vous sont particuliers. »

Il y a deux siècles, lorsqu’il écrivait l’Histoire des Variations, Bossuet, effrayé de l’audace de l’esprit d’examen, n’assignait point de bornes aux folies que pouvait engendrer l’ame humaine; il ne voyait devant lui qu’un horizon indéfini et reculant sans cesse, peuplé de chimères sans cesse renaissantes, de sectes sans nombre, de dogmes bizarres; il croyait à la toute-puissance du délire. L’état actuel du protestantisme ne répond pas tout-à-fait à ses prévisions. En ce moment, l’esprit humain, dans tous les pays protestans, est à la recherche de l’unité; rien n’égale la rapidité avec laquelle le protestantisme a épuisé l’esprit de secte; il a rendu à l’humanité ce service signalé, de faire parcourir à l’esprit de l’homme tous les systèmes sans sortir du christianisme; il lui a fait côtoyer le rationalisme, il lui a fait épuiser jusqu’à la lie la coupe de la liberté religieuse. Partout aujourd’hui les âmes qui trouvaient un sombre bonheur dans la recherche libre de la vérité et que l’isolement moral n’effrayait pas, qui se contentaient pour leur pensée de quelques compagnons réunis sous une dénomination commune, sentent le froid qui les gagne et les formules de leurs doctrines qui les étouffent. Les sectaires désabusés demandent de l’air, de la lumière; ils tendent une main sympathique à leurs adversaires de la veille; ils cherchent à rentrer dans le sein de la famille humaine, au lieu de