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il ne reste pas, comme en Angleterre, obstinément attaché à une secte : selon sa croyance du moment et le progrès de son esprit, il est catholique, puis unitaire, puis méthodiste, et tout cela sans transitions. Ce nomadisme, ce vagabondage énergique est un des caractères des États-Unis, et il est le stimulant, l’aiguillon de leur progrès; il le précipite, mais un jour il pourrait bien être une cause de ruine et de désordres. Les Américains ont de la persévérance; mais il leur manque la vertu corrélative de la persévérance, la patience; il leur manque cette lenteur nécessaire à l’accomplissement des grandes choses, lenteur qui conserve la fraîcheur de l’ame tout en accroissant ses forces, qui empêche l’énervement et la fièvre, lenteur qui est la vertu du peuple russe par exemple et qui le rend si redoutable. Cette précipitation qui pousse toujours au lendemain et qui rejette la veille dans un oubli complet est aujourd’hui une des sauvegardes de l’Union; elle l’empêche de trop s’acharner après les difficultés, et elle évite ainsi les querelles intestines, car l’Union serait dissoute depuis long-temps, si les Américains avaient voulu résoudre d’une manière définitive la question de l’esclavage. Néanmoins ce nomadisme est un vice réel, et il est, selon nous, après l’esclavage, le plus grand fléau de l’Union, Si l’esclavage est le dissolvant de l’Union, le nomadisme est l’obstacle à l’organisation de la société : il sert au progrès matériel et nuit au progrès moral; il empêche la formation des habitudes, des mœurs, de l’attachement aux choses, des relations suivies entre les hommes, et c’est pourquoi les États-Unis marchent toujours sans s’organiser, pourquoi ils s’agrandissent sans pouvoir passer de l’état d’une confuse agglomération d’hommes à celui de peuple et de nation.

Laissons ce sujet, et abordons-en un autre plus important, d’une importance plus morale. De toutes les tendances actuelles des États-Unis, il n’en est pas de plus intéressantes que les tendances religieuses. Le protestantisme traverse une crise mal observée, plus mal jugée encore, à notre avis, même par les hommes qui d’ordinaire sont les plus froids et les plus sagaces. Les hardiesses, les anomalies du caractère américain étonnent un philosophe européen, mais sans le troubler ni le confondre. Il n’en est pas ainsi de la religion. La moitié des voyageurs, soit indifférence ou scepticisme, soit qu’ils ne le comprennent point en réalité, expliquent très mal l’état religieux de ce pays; l’autre moitié, par effroi, par piété sincère ou par tout autre motif religieux, sent renaître ses préjugés européens à ce spectacle de sectes qui s’annihilent les unes par les autres, et qui dépassent en nombre les états et les territoires déjà si nombreux de l’Union. C’est le seul point sur lequel M. Johnston manifeste des craintes; il exprime hautement sa frayeur de voir l’infidélité, — comme on dit en Angleterre de toute opinion morale en dehors du christianisme, — devenir générale en Amérique. Il est