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dieux te maudissent, jeune fille impie qui viens troubler Orphée tandis que, par les sons de sa lyre, il adoucissait des hommes farouches, semblables aux premiers nés de la race mortelle qui se nourrissaient de glands ! Sibylle funeste, périssent tes oracles menteurs et tes doctrines profanes, par lesquelles, si elles triomphaient, serait anéantie la gloire des lettres ! Dangereuse sirène, je n’écouterai point ta voix, je fermerai mes oreilles à tes discours, comme fît le sage Ulysse ; j’irai rejoindre mes élèves dociles, mes enfans chéris, qui me traitent comme un hôte aimé de Jupiter, qui placent dans mes mains la lyre d’or et me font chanter dans leurs banquets ainsi que le roi des Phéaciens faisait chanter le divin Phemius.

Et, tirant des sons discordans de la harpe qui s’était dérangée sous ses doigts, moitié chantant, moitié déclamant des vers, mélange grotesque de mots latins et de mots inintelligibles, le malheureux Capito s’éloigna d’un pas chancelant. Bientôt des rires lointains mêlés à d’ironiques applaudissemens apprirent à Hilda qu’il avait rejoint son auditoire, et qu’il était de nouveau le jouet des Barbares.

Hilda ne pouvait s’attacher à ses pas et s’emparer de lui malgré lui-même ; elle comprit en soupirant que désormais rien n’avait prise sur son délire, et que l’idée fixe qui avait dominé sa vie, devenue en ce moment une folie complète, opposait une barrière invincible à tout espoir d’améliorer son sort ou de sauver son ame. Enfoncé dans la stérile étude et voué à l’impossible reproduction du passé, il avait fermé ses yeux à toute idée, à toute lumière nouvelle, et sa raison, usée par un labeur impuissant, s’abîmait au sein du néant qu’elle avait choisi. Hilda reprit sa route, se dirigeant du côté où elle espérait rencontrer le frère de Capito. Tout à coup elle se trouva face à face avec Bléda, et, en le voyant seul, elle frémit pour elle et pour Macer. En deux mots, elle apprit au Hun ce que Gundiok avait décidé touchant les captifs, et lui demanda ce qu’il avait fait du sien. Bléda, en entendant l’ordre du chef redouté, exprima par son regard un mélange de mécontentement et de bassesse. On eût dit un chien farouche auquel le bâton levé a fait abandonner sa proie, et qui se retire en rampant avec un grognement sourd. — Tu peux prendre le Romain, dit-il, puisqu’il t’appartient ; mais je crois que tu auras quelque peine à le trouver, ajouta-t-il avec un sourire de satisfaction féroce, car je le cherche avec ardeur depuis ce matin. Il s’est échappé pendant mon sommeil, et, pour que je n’aie pu découvrir sa trace, il faut qu’il se soit enfoncé dans la portion la plus épaisse de la forêt, dans la Vallée-Noire, là où ceux qui chassent l’uroch et le sanglier peuvent eux-mêmes pénétrer difficilement. Puisqu’il devait m’être enlevé, je me réjouis qu’il ait pris ce chemin, car il ne peut manquer d’y mourir de faim, s’il n’est dévoré par les bêtes de proie. Je regrette seulement de ne pas le voir