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chef farouche ce qu’elle souhaitait en faveur des Secundinus et aussi de faire luire à ses yeux la première aurore de la foi chrétienne, la jeune Franque s’avança d’un pas ferme à travers les guerriers, qui la regardaient avec surprise. Elle s’arrêta tout près de Gundiok, et, le souvenir de sa première enfance lui revenant tout à coup, elle lui dit d’une voix grave, où l’on sentait un attendrissement mélancolique : — Gundiok ! Gundiok ! te souviens-tu du jour où tu aiguisas ta première framée sous le chêne qui couvrait la cabane de Marcomir ?

Ces mots prononcés dans sa langue par une voix qu’il lui semblait vaguement reconnaître, ce nom du chef de sa tribu retentissant tout à coup à ses oreilles, émurent fortement le jeune Barbare. Il leva la tête, et attacha son œil bleu et perçant sur la blonde vierge qui se tenait debout devant lui.

— Qui es-tu ? lui dit-il en la considérant avec une curiosité pleine d’étonnement.

— Je suis la plus jeune des filles de Marcomir, la seule qui vive. Sais-tu encore le nom d’Hilda ?

À ce nom, un souvenir soudain brilla comme un éclair dans les yeux du Barbare. L’égorgement de Marcomir et de sa famille les enflamma de colère, mais une sorte de charme vint se mêler à leur expression irritée, tandis qu’il les promenait rapidement sur Hilda. Gundiok contemplait comme une apparition la dernière fille de ce chef illustre, au sang duquel il était fier d’appartenir.

— Ainsi la fille de Marcomir, dit-il avec un grincement de dents, a été l’esclave des Romains !

— Oui, reprit Hilda avec douceur, il a plu au Dieu tout-puissant de me réduire à cette condition misérable. Et elle ajouta d’une voix forte, en levant les yeux au ciel : Oh ! que mes misères et mes larmes ne peuvent-elles obtenir de ce Dieu le salut des hommes de ma race, et combien je serais heureuse à ce prix d’endurer de nouveau les oppressions et la servitude !

— La fille des Francs croit au Dieu des Romains ? dit Gundiok ; l’esclavage a abaissé son cœur.

— Ce n’est pas le Dieu des Romains seulement, Gundiok, c’est le Dieu et le père de tous les hommes. Il n’est pas comme ces divinités prétendues, ces orgueilleux démons à qui les Romains élevaient des autels, et qui ne favorisaient qu’une race, la race de vos ennemis : il aime toute race et toute tribu, il veut être béni en toute langue ; c’est pour toutes les nations qu’il a donné son fils. Francs, vous rachetez le meurtre par le prix du sang ; c’est par son sang que Dieu a racheté le monde !

Tandis qu’Hilda tâchait ainsi de faire arriver l’idée sublime du Dieu sauveur à ces intelligences grossières en cherchant dans leurs idées ce qui pouvait les y conduire, elle fut interrompue par le chantre