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Macer était toujours morne et silencieux ; Capito commençait à s’accoutumer à sa situation nouvelle ; il se comparait à Ovide exilé chez les Gètes, et voulait, comme lui, apprendre la langue des Barbares pour composer dans cette langue des vers qui ne pourraient manquer de les charmer. Lucius trouvait un secret plaisir dans la bizarrerie de cette aventure, dans la nouveauté des objets qui l’environnaient et du genre d’existence qui s’ouvrait devant lui. Indifférent à tout, il ne regrettait rien ; dégoûté de tout, une situation si extraordinaire rendait à son ame quelque énergie. Il retrouvait, pour sa destinée qu’il avait depuis long-temps délaissée, un intérêt au moins de curiosité. Couché sur des monceaux de riches étoffes ou de tapis précieux, débris de ce butin dont lui-même faisait partie, il aimait à fermer les yeux et à voir passer devant son souvenir les scènes si différentes qu’il avait traversées ; il se retrouvait tour à tour dans les écoles d’Athènes, dans les rues bruyantes d’Alexandrie, passant la mer, abordant en Gaule, à Massalie, enfin voguant doucement avec les siens sur les eaux de la Moselle éclairée par la lune, puis rentrant dans la demeure de ses pères, au milieu d’un peuple d’esclaves. Ici, le candide visage d’Hilda lui apparaissait éclairé par la joie céleste du martyr. Il s’arrêtait à contempler la jeune fille telle qu’il l’avait aperçue tout à coup sous les arbres de la forêt, tandis qu’il invoquait une révélation subite pour éclairer son ame troublée. Il croyait entendre encore les paroles pleines de foi, de douceur et d’une certaine tendresse qu’avait prononcées la chrétienne. Il avait remarqué, avec un sentiment de joie et d’admiration, qu’elle était venue volontairement partager la captivité de ses maîtres. Séparé du monde, enfoui dans les bois de la Germanie, son imagination n’avait pas d’autre objet qu’Hilda, et bientôt Hilda la remplit tout entière.

Pour la jeune fille, depuis qu’un même sort avait établi entre elle et ses anciens maîtres l’égalité de la servitude, loin de mettre avec eux dans ses rapports plus de familiarité qu’auparavant, elle se montrait au contraire plus docile esclave que jamais. L’humilité de sa condition ne coûtait plus rien à sa fierté native, depuis qu’elle l’avait embrassée volontairement, croyant que son devoir était de rester fidèle au malheur de ceux à qui Dieu l’avait donnée. Peut-être l’attrait qu’elle ressentait pour le jeune Romain, et dans lequel elle ne voyait qu’un vif désir de sa conversion, rendait-il plus facile à la chrétienne le parti que lui imposait sa conscience ; car, sans ce motif religieux auquel se mêlait à son insu un mouvement de tendresse humaine, Hilda eût été bien combattue par les sentimens qu’avait fait naître en elle ou plutôt qu’avait réveillés l’aspect de la vie sauvage et de la forêt natale. En mettant le pied sous les ombrages des solitudes hercyniennes, en se voyant entourée des hommes de sa race, en entendant le langage qui avait été celui de ses premières années, la jeune Franque avait