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qui dictait tant d’impétueux discours, c’était l’emportement de la discussion et l’entêtement d’opinions une fois émises qu’on attaquait et défendait avec un puéril acharnement. Au milieu du tumulte, peu à peu les décurions s’éclipsèrent. Un intérêt plus puissant que celui des affaires publiques les appelait à l’amphithéâtre, où l’on devait donner un combat de bêtes et de gladiateurs. Bientôt Macer se trouva seul ; il haussa les épaules avec mépris en voyant sortir le dernier de ses collègues. « Il n’y a plus de gouvernement romain, il n’y a plus de société romaine, dit-il ; allons dans ma famille, où du moins toute tradition d’ordre et de discipline n’est pas anéantie ; allons surveiller mes esclaves et revoir mon fils. »

Cependant l’amphithéâtre se remplissait d’une foule inquiète ; chacun s’y rendait autant pour apprendre des nouvelles dans ce lieu de réunion générale que pour obéir à l’indomptable passion que les Romains conservaient pour les sanguinaires divertissemens de l’arène. On s’abordait en se demandant si les Francs étaient proches, s’il était vrai qu’ils se fussent montrés sur telle hauteur, qu’ils eussent brûlé tel village ; puis, au milieu de ces alarmes, on en venait insensiblement à parler des jeux qui allaient commencer. L’un vantait un lion amené de la province d’Afrique et qui était célèbre pour avoir déjà dévoré vingt hommes ; l’autre opposait à ces éloges ceux d’un Barbare qui, dans une même journée, avait combattu successivement dix Bructères sans être vaincu ; chacun prenait fait et cause pour le lion ou pour le gladiateur. Les esprits s’échauffaient par la discussion ; on en venait aux injures, et l’on oubliait dans les vaines querelles le sérieux danger qui menaçait ; puis un survenant rendait à l’assemblée ses terreurs, dont elle était bientôt distraite par les apprêts du spectacle et par son impatience de le voir commencer. Cette impatience était plus vive encore et plus furieuse que de coutume, car cette fois il s’agissait d’écarter des craintes importunes par des joies bruyantes, et la foule se précipitait vers ces joies avec le double emportement de la cruauté et de la peur. Les magistrats de la cité, consternés d’un péril qu’ils ne savaient comment conjurer, hésitaient à donner le signal des jeux ; mais le cri — les bêtes ! les bêtes ! — retentissant toujours avec plus de violence, il fallut bien s’y résoudre. On tira les animaux féroces de leurs loges souterraines et l’on plaça en face d’eux un certain nombre d’esclaves condamnés. Ils étaient sans armes et ne purent faire aucune défense ; cependant il y eut quelque plaisir à voir les animaux affamés s’élancer sur leur proie, la déchirer et la traîner dans le sang. Ce fut comme un prélude aux scènes de carnage qui allaient suivre, comme un avant-goût de l’égorgement des gladiateurs, principal objet de la fête.

Ici le spectacle fut encore interrompu. Les gladiateurs amenés dans l’arène pour la première fois refusèrent de combattre. La plupart