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seulement pour aller dans quelques maisons particulières où je ne vois personne qui réellement sache la moindre chose, et ce que j’apprends me vient des journaux qui prennent leurs nouvelles dans les cafés ; ainsi je n’en crois ni n’en répète rien. À la maison, je ne vois qu’un petit nombre de vieilles bonnes âmes charitables, sauf à peu près quatre-vingts neveux ou nièces qu’on m’amène environ une fois l’an pour venir admirer le Mathusalem de la famille, et tout cela ne parle que de ses contemporains, qui ne m’intéressent pas plus que s’ils parlaient de leurs poupées ou de leurs balles et de leurs raquettes. Le résultat de tout cela, madame, ne doit-il pas faire de moi un correspondant bien amusant, et de pareilles lettres peuvent-elles valoir la peine d’être montrées ? Puis-je enfin avoir aucune vivacité d’esprit, étant si vieux et réduit à dicter ? — Oh ! ma chère bonne madame, dispensez-moi de cette tâche, et songez combien y doit ajouter la crainte qu’on ne montre mes lettres. Je vous en prie, ne m’envoyez plus de pareils lauriers ; je ne les désire pas plus que leurs feuilles, quand elles sont ornées de clinquant et plantées sur les gâteaux des rois étalés à Noël dans les boutiques de pâtissiers. Je me contenterai de quelques brins de romarin jetés après moi, quand le ministre de la paroisse rendra ma poussière à la poussière. Jusque-là, madame, agréez, etc. »

On trouvera sûrement que nous en avons trop dit d’un personnage qui n’est pas de premier ordre ; mais on ne pouvait, ce semble, intéresser qu’en arrivant aux détails. Quand le grand mérite d’un homme consiste dans ses goûts et ses idées, quand sa vie se compose des événemens de son esprit, il faut n’en point parler, ou pénétrer dans son intimité, et le faire, autant qu’on peut, causer avec le public. Horace Walpole méritait-il tant de soins ? Spectateur de la société anglaise pendant la plus grande partie du dernier siècle, mieux que personne il l’a fait connaître. Durant près de soixante ans, il l’a suivie dans ses affaires, comprise dans ses opinions, observée dans ses mœurs, dirigée dans ses goûts, laissant çà et là autour de lui des traces de l’influence de ses écrits, de ses entretiens et de ses exemples. Il n’est grand en rien, supérieur que dans ses lettres, mais il est lui-même en tout, et la distinction ne lui manque en aucune chose. Quand on aura dit qu’il était un peu sec, un peu dédaigneux, un peu difficile, quand on aura ajouté qu’il n’était pas exempt de prétention ni d’exigence, que sa nature délicate le rendait irritable et ôtait à son commerce le charme de l’abandon, la part du mal sera faite, et, franchement, dans ce qu’on appelle le monde, est-ce là un fardeau bien lourd à porter ? Doit-il être classé dans la mauvaise moitié ? Ses défauts peuvent-ils suffire à motiver la sévérité malheureusement très spirituelle de M. Macaulay ? il prend la peine de l’accabler dans un de ses plus piquans essais. « Walpole, dit-il, était tout affectation. » Et il développe ce texte avec une verve impitoyable. Cependant voici ce que lui disait Mme Du Deffand : « Votre désir de plaire ne vous porte à aucune affectation. » Sans doute on n’est pas obligé d’avoir pour Rodrigue les yeux