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motifs que Byron prête à la sévérité expliqueraient-ils aussi son excessive bienveillance. Au reste, la mémoire de Walpole peut se consoler de notre froideur, ayant pour elle Byron et Scott. La pièce, à nos yeux, pèche par le fond et par la conduite : elle manque d’intérêt et d’action, et n’offre ni nouveauté ni profondeur dans les caractères ; mais le dialogue a beaucoup de mérite, le style nous semble précis, ferme, élevé. Il y a de beaux vers dans le genre sentencieux, d’heureuses pensées exprimées heureusement. Je ne sais si Walpole pouvait faire une tragédie, mais il pouvait l’écrire.

Quoique après sa tragédie il n’ait plus produit d’ouvrage un peu considérable, la littérature devint de plus en plus son occupation, ou du moins sa distraction favorite. Il réimprimait ses anciens écrits ; il les complétait, il les défendait. Il entretenait avec des écrivains, avec des antiquaires, une correspondance animée qui prouve l’activité et les ressources de son esprit. Ses lettres à Dalrymple, à Cole, et plus tard à Mason et à Pinckerton, ne sont pas les moins précieuses qu’il ait laissées. En 1771, il perdit Gray. Il était depuis quelques jours à Paris, lorsqu’il lut la nouvelle de sa mort dans un journal ; il écrivit aussitôt au révérend M. Cole :

« Je prie Dieu que vous me puissiez dire que la nouvelle n’est pas vraie, et pourtant il me faut rester quelques jours dans cette cruelle incertitude. Personne de ma connaissance n’est à Londres. Je ne sais à qui m’adresser, si ce n’est à vous. — Vainement, hélas ! je le crains ; trop de circonstances me disent que c’est vrai. Les détails sont précis. Un second papier arrivé par le même courrier ne contredit pas l’autre, et, ce qui est pire, je l’ai vu quatre ou cinq jours avant de partir. Il était allé à Kensington pour changer d’air ; il se plaignait d’une goutte vague ; il la sentait dans son estomac. Je le trouvais effectivement changé, et il avait mauvaise mine. Cependant je n’avais pas la moindre idée de danger. Je me suis élancé de mon fauteuil à la lecture de l’article ; un boulet de canon ne m’eût pas surpris d’avantage. Après le premier choc, la douleur est venue, et mes espérances sont trop faibles pour l’adoucir. Si personne n’a la charité de m’écrire, mon anxiété se prolongera jusqu’à la fin du mois… Si l’événement n’est que trop vrai, rendez-moi aussi, je vous prie, le triste service de me dire toutes les circonstances que vous savez de sa mort. Notre longue, bien longue amitié me rend cher tout ce qui le concerne. Quels écrits a-t-il laissés ? »

Cette perte l’attacha par des liens plus étroits à William Mason, le poète, qui était l’ami et le légataire de Gray, et qui fut chargé de revoir et de publier ses manuscrits. De là un commerce de lettres qui se prolongea jusqu’en 1784, la partie la plus littéraire peut-être de la correspondance de Walpole. Cette liaison finit cependant par une rupture. Le poète avait, sous l’influence de Walpole, adopté les idées de l’opposition. Il écrivait, sans se nommer, dans quelques journaux ; il publiait même des satires politiques, dont on croit que Walpole fournissait les