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Un Français qui ouvre sa correspondance doit courir à ses lettres de Paris. Ce ne sont pourtant pas les meilleures. On y trouve quelques anecdotes piquantes, quelques appréciations justes, mais de l’incertitude et de l’incohérence dans les impressions. Il y a du parti-pris dans certains jugemens. Walpole est sévère dans l’ensemble, quoiqu’il loue beaucoup dans le détail. Passons-lui de dire que Paris est sale et ses rues étroites, de trouver, au souvenir de Windsor ou de Richmond, la campagne poudreuse, la végétation pauvre et la verdure un peu grise. Ayant cent fois tourné en ridicule les mœurs politiques de l’Angleterre, il est bien en droit de se moquer de nos querelles de parlement et de nos intrigues de cour, et l’on ne saurait se beaucoup fâcher quand il dit : « En tout, je ne voudrais pas n’être point venu ici, car, puisque je suis condamné à vivre en Angleterre, c’est un soulagement que d’avoir vu que les Français sont dix fois plus méprisables que nous. » Pardonnons ces traits d’une misanthropie caustique, où j’entrevois plus de prétention que de mauvaise humeur ; mais je voudrais qu’il jugeât la France avec plus d’esprit, c’est-à-dire qu’il pénétrât plus avant dans le secret de cette société singulière qui fut pendant un siècle le spectacle du monde, et qui lui préparait un autre siècle d’étonnement. Évidemment, il marche en France dans une certaine obscurité ; il le dit lui-même et il s’en prend à la langue, qu’il parlait malaisément. Avec toute l’intelligence possible, on ne comprend guère un pays, quand on y trouve la conversation difficile. Il se plaisait cependant à Paris ; on lui faisait bon accueil, et il y était sensible. Il s’y amusait, mais il n’était pas à son aise, amused, but not comfortable ; le monde le divertissait sans lui plaire.

Il n’aimait donc pas les philosophes ? va-t-on nous dire ; car, au XVIIIe siècle, c’était la question. Non, il ne les aimait pas. D’abord il croyait devoir à sa réputation d’élégance de détester les pédans, à ses prétentions aristocratiques de dénigrer la profession d’homme de lettres, à son expérience politique de mépriser la vanité qui régente l’univers sans l’avoir gouverné. Tout le monde ici est philosophe, dit-il, et il trouve qu’on y a perdu la gaieté et la bonne grâce en devenant lourd et vide, tranchant, disputeur, fanatique. Selon lui, la guerre est déclarée au papisme, avec tendance, pour un grand nombre, au renversement de la religion, et, pour un plus grand nombre encore, à la destruction du pouvoir royal. Il entend et lit des choses qu’on n’aurait osé prononcer du temps de Charles Ier


« Les Français affectent la philosophie, la littérature et la liberté de penser. La première ne m’a jamais dominé et ne me dominera jamais. Des deux autres je suis las dès long-temps. Le libre-penser, on le garde pour soi ; il n’est certainement pas fait pour la société. On règle une fois pour toutes sa manière de penser, ou bien l’on sait qu’elle ne peut être réglée, et quant aux