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talent à manier le crayon et le pinceau, et on lui doit quelques gravures qui décorent médiocrement, il est vrai, les ouvrages et les éditions de son protecteur. Même dans ces salons où Walpole passait tout le temps qu’il ne donnait ni à Strawberry ni au parlement, dans ces parties de plaisir au Ranelagh, dans ces dîners ou ces soupers brillans, à l’opéra où il admirait en amateur habile la musique italienne et la danse française, pense-t-on qu’il ne fît pas la légère propagande de ses goûts et de ses idées ? et ce causeur renommé ne devait-il pas mettre à la mode tout ce qui amusait son esprit ? Le mélange remarquable que font les Anglais de la conservation du vieux et de la recherche de l’original, ce concours piquant d’archéologie et d’innovation qui les caractérise dans l’art comme dans la politique, qui produit des choses excellentes et des choses bizarres, qui explique les grandeurs et les puérilités de cette société incomparable, ne doit-il pas quelque chose, surtout en ce qui touche les superfluités élégantes de la vie, au dilettantisme de Walpole ? et n’a-t-il pas eu de bonne heure, comme homme d’esprit paradoxal, quelques-unes des idées qui sont devenues les lieux communs du génie national ?

Mais, pendant qu’il s’amusait ainsi, le gouvernement avait marché, et les affaires publiques changeaient de face. Nous avons laissé Pelham dominant et l’opposition silencieuse. La paix de 1749 avait comblé tous les vœux. Cinq ans se passèrent d’indifférence publique et de quiétude ministérielle. Le parlement semblait unanime, car les deux personnages qui auraient pu le diviser, et dont la rivalité secrète se trahissait quelquefois, sentaient chacun le besoin de ménager le gouvernement auquel l’un et l’autre s’étaient rattachés, attendant l’occasion, lente à paraître, de le dominer. Fox était secrétaire de la guerre, et Pitt se contentait du poste lucratif de payeur-général. Quoique ces situations n’imposassent pas alors une aussi rigoureuse solidarité avec le cabinet qu’on l’exige aujourd’hui, l’un et l’autre se contenaient en rongeant leur frein, lorsque la mort inopinée de Pelham vint leur rendre la liberté (1754). Ce fut comme le réveil de toutes les ambitions.

Au premier moment, la plus mesquine de toutes l’emporta ; le duc de Newcastle succéda à son frère. Ce personnage jouissait du privilège d’exciter les railleries, non-seulement de Walpole, qui ne le pouvait souffrir, mais de tous les gens d’esprit de son temps. Ses ridicules ont passé à la postérité, et l’histoire continue de se moquer de lui. Bavard, timide, ignorant, plein de petitesses et de manies, il a cependant été près de quarante ans ministre ; il a fait partie de plusieurs cabinets dont deux, celui de Robert Walpole et celui de Pitt, ont laissé une grande renommée. Il a su céder à propos la première place à son frère, plus capable et moins connu, et dont il demeura le fidèle et l’utile auxiliaire. Enfin lui-même il parvint à ce rang suprême. Attaqué