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la nationalité magyares, pour qu’il soit permis de penser que la constitution d’avant 1848 sera rétablie tout entière. L’Autriche se gardera bien de laisser ainsi échapper la grande compensation qu’elle a retirée des sacrifices d’amour-propre, d’hommes et d’argent que lui a coûtés la guerre de Hongrie.

Dans l’empire ottoman, les tiraillemens sourds qui se sont quelquefois révélés au sein de la haute administration deviennent plus vifs et plus apparens. Une entreprise aussi vaste que le rajeunissement de l’islamisme et de la race turque ne pouvait assurément s’accomplir sans rencontrer beaucoup d’obstacles. Les populations peu éclairées, les fonctionnaires gênés d’avoir des lois à respecter, devaient plus d’une fois résister à l’action du gouvernement et paralyser ses meilleures intentions. Enfin le vieux système, menacé dans ses principes mêmes, devait rencontrer souvent auprès du trône des organes officieux et passionnés. Jusqu’à ce jour, l’influence des hommes servilement attachés à la tradition a toujours fini par céder devant l’habileté et l’ascendant de ce parti, dès à présent nombreux, qui professe que l’avenir de la Turquie dépend de sa régénération politique et administrative. Toutes les fois que les Turcs de la vieille école sont rentrés au pouvoir, les événemens sont venus promptement montrer combien leur politique est impuissante et dangereuse. Par la force même des choses, le sultan a toujours été obligé de se séparer d’eux et de revenir à leurs adversaires, pour réparer les fautes d’un système qui n’est plus de ce siècle. Il paraîtrait cependant que les ennemis du grand-vizir Rechid-Pacha, en qui se personnifie le ministère de la réforme, ont repris depuis quelque temps plus de hardiesse et retrouvé plus d’accès dans les hautes régions d’où le pouvoir émane.

Tous ceux qui portent intérêt à la prospérité de la Turquie verraient avec peine la politique libérale abandonnée par le sultan. Nous ne dirons point, avec l’ancien ambassadeur anglais, aujourd’hui lord Stratford, parlant à ses compatriotes les Anglais d’Orient, que l’administration ottomane est bien loin d’être régénérée, et qu’il reste à faire beaucoup plus que l’on n’a fait encore. Non, lord Stratford est injuste à force de franchise. Dans un pays où les innovations éveillaient de si profondes défiances, où l’ascendant des mœurs se joignait à la puissance de la religion pour repousser toute réforme, l’œuvre la plus difficile était d’oser proclamer des principes nouveaux, dût-on rencontrer mille obstacles et échouer quelquefois dans l’application. Un grand pas a donc été fait : ces principes ont été proclamés ; mais est-ce bien au moment où ils commencent à porter leurs fruits, où une politique intelligente raffermit l’autorité du sultan sur les populations chrétiennes de la Turquie d’Europe et rétablit la suzeraineté de l’empire sur l’Egypte elle-même, est-ce en un moment si décisif qu’il convient de renoncer au système qui a préparé tous ces résultats ? La situation est par elle-même si claire, que le sultan, nous le croyons, n’a pas besoin de faire l’essai d’un nouveau ministère rétrograde pour reconnaître les services éminens que le parti de la réforme rend tous les jours à l’empire. Indépendamment même de ses actes, la seule confiance qu’il inspire aux populations est une force pour le gouvernement. Un ministère peu favorable ou hostile à la réforme ne causerait que des inquiétudes d’une extrémité de l’empire à l’autre. Alors les critiques que lord Stratford a adressées à l’administration ottomane, en faisant ses adieux à la Turquie, cesseraient d’être exagérées

ch. de mazade.