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que les maisons religieuses où le maître est sans cesse auprès de l’enfant ont eu et peuvent avoir encore une telle supériorité. Observez autour de vous les symptômes les plus alarmans : s’il est vrai que le niveau des études et des esprits ait baissé, en quoi l’antiquité classique a-t-elle pu contribuer à ce résultat ? Est-ce la faute de ce genre d’enseignement si de tous côtés règne le besoin d’une instruction superficielle et hâtive ? Est-il donc nécessaire d’aller rechercher cette cause lointaine pour expliquer les déviations morales de notre temps ? Vous supprimerez l’étude des classiques grecs et latins pour supprimer les exemples antiques, mais cela ne suffira point ; il faut aussi supprimer l’histoire, enseignement permanent, et en supprimant l’histoire ce ne sera point assez encore : il restera au fond de l’homme un genre de paganisme qu’il n’est pas besoin d’aller chercher à Rome ou à Athènes parce qu’il est de tous les temps, qui est le résumé de toutes les ardeurs, de toutes les passions, de tous les sensualismes, de tous les matérialismes se combinant aujourd’hui avec une sorte de délabrement intellectuel. Comment peut-on remédier à ce mal ? D’abord par l’action religieuse et morale sans doute, et ensuite en relevant les intelligences, en ranimant en elles le goût des mâles connaissances, en les retrempant dans ces vigoureuses disciplines littéraires dont l’antiquité justement offre de salutaires exemples. Voilà pourquoi M. l’évêque d’Orléans nous semble bien autrement comprendre le problème contemporain de l’éducation publique quand il dit avec la simple éloquence du bon sens : « Fortifions nos études, alïèrmissons nos esprits, attachons-nous plus que jamais aux méthodes éprouvées par le temps, consacrées par l’expérience. »

À vrai dire, ce qu’on peut craindre moralement aussi bien que littérairement, ce n’est point le culte intelligent de l’antiquité classique, c’est l’étude capricieuse et légère qui calque des images et des pensées, ne saisit que les traits extérieurs sans pénétrer l’essence des choses, sans se rendre compte de la différence des temps et des civilisations, et sans distinguer entre ce qui est l’immortelle expression de la vérité humaine et ce qui tient aux lieux, à l’époque, à tout un ensemble local évanoui. Il reste toujours à se poser cet éternel problème : — Dans quelle proportion est-il juste et possible de s’approprier l’inspiration antique ? Dans quelle mesure peut-on aller puiser à ce large fleuve de poésie, comme disait Dante de Virgile, qu’il appelait son maître et son auteur ? C’est une question qui se posait encore l’autre soir au Théâtre-Français en présence de l’œuvre nouvelle de M. Ponsard, — Ulysse, — faite uniquement et absolument avec quelques livres du poème homérique. S’il ne s’agissait que de rajuster et de décalquer quelques scènes de l’Odyssée, on pourrait se demander simplement : A quoi bon refaire ce qu’Homère a fait ? Il faut donc en conclure que ce n’est point en cela que peut consister l’art moderne, et qu’on ne saurait reproduire qu’avec des combinaisons nouvelles, sous une forme appropriée à nos goûts et à notre civilisation, ces vives et primitives images de la vie humaine. Là est la difficulté de cette sorte de tentatives. Combien de poètes s’y sont essayés dans une mesure diverse, avec un esprit différent, depuis le xviie siècle jusqu’à André Chénier ! Il faut un mélange singulier de connaissances et d’instinct poétique, de réflexion et de goût, pour arriver à fondre dans une invention nouvelle l’élément antique, pour faire la part de la vérité purement humaine et de la vérité historique. Racine